[...] La nation comme principe de souveraineté légitime.
L'ordre monarchique inégalitaire est dénoncé comme illégitime et injuste : il ne saurait incarner la volonté de la nation pour des raisons qualitatives et quantitatives. Les corps privilégiés sont minoritaires et n'ont pas en vue l'intérêt commun. La nation, par là-même, ne comporte aucun caractère d'évidence. L'unité monarchique n'a de valeur que descriptive. La nation, en elle-même, est une forme de volonté. La nation n'est pas seulement la volonté majoritaire mais la volonté générale, ou comme le dit aussi Sieyès, « commune ». La volonté commune est la volonté nationale. Voilà pourquoi Sieyès écrit : « les représentants du Tiers sont les vrais dépositaires de la volonté nationale » (Ibid., p. 161).
A) Influence et infléchissement de la pensée de Rousseau.
En forgeant sa conception de la nation, Sieyès hérite des idées du siècle des Lumières dont il fait une synthèse. Parmi elles, celles de Rousseau dessinent un arrière-plan conceptuel de sa doctrine, même si celle-ci n'est pas en tout point conforme à celles-là. En forgeant le concept de nation dans le sens qui deviendra le sens de la conception républicaine française, Sieyès donne sa propre interprétation de la tradition des Lumières et sa propre lecture de Rousseau. Cela s'articule autour d'une fondamentale divergence d'appréciation sur le phénomène de la représentation. Certes, sa critique des ordres semble directement issue de quelques lignes du Contrat social dans lequel Rousseau identifie le tiers État à l'intérêt public, celui de la noblesse et du clergé à des intérêts particuliers
[...] Contrairement à la pensée des Lumières, y compris à celle de Kant, le terme de peuple, chez Fichte, ne peut recevoir une signification seulement juridique. L'État, en tant que juridique, est seulement « mécanique » pour Fichte, et il est « dépassé » par les notions de patrie et de peuple, qui désignent la nation aimée et la nation comme corps substantiel et culture. L'État doit servir la nation et aider préserver son indépendance ; il ne constitue pas cette indépendance même. La séparation chez les Allemands, de l'État et de la nation (pas d'unité nationale avant 1871) peut paradoxalement servir le patriotisme (huitième discours, p. 180) : tout individu peut se sentir citoyen de son État de naissance, et citoyen de la nation allemande, de la patrie. L'Allemagne ainsi conjugue diversité culturelle et culture supérieure (höhere Bildung) résultant de l'influence des États les uns sur les autres. (...)
[...] Contre Fichte, Renan tient que l'idée d'une nation originelle est contradictoire avec tout véritable patriotisme. Comment peut-on s'engager dans une cause au nom d'une appartenance ethnique qui ne dépend pas de nous ? L'engagement patriotique est un engagement moral et politique. Il requiert de la raison, un sens de la justice et de la vérité, voire de la beauté, c'est-à-dire la référence à des valeurs universelles (p. 23). Faire reposer le patriotisme sur la défense d'une nation à laquelle on appartient par sa naissance, c'est faire décider la science à notre place. [...]
[...] Qu'elle ne soit pas explicite explique les divergences d'interprétations de la pensée de Herder, considéré soit comme celui qui apporte un correctif à l'abstraction de la conception des Lumières en réintégrant en elle le substrat culturel (Max Rouché, dans sa thèse de 1940 sur La philosophie de l'histoire de Herder, plus récemment, Alain Renaut dans l'Introduction à Une autre philosophie de l'histoire et dans le tome 3 de l'Histoire de la philosophie politique), soit comme précurseur du nationalisme allemand (Louis Dumont, dans ses Essais sur l'individualisme, en 1983, ou plus récemment en 2006, Zeev Sternhell, dans Les anti-Lumières). Plutôt que de chercher à trancher dans se débat, on peut chercher à analyser comment la question a été reprise dans l'histoire des conceptions de la nation, et dans l'histoire même des nations. En 1806, après la victoire de Napoléon à Iéna, le saint Empire romain germanique cesse d'exister, et la plus grande partie des territoires allemands passent sous contrôle français. Dès lors, la question de la nation change de sens. [...]
[...] Les trois temps de la construction de la nation et la constitution. La première époque de la société politique est celle de l'association, la deuxième celle de la volonté commune, le troisième celui de la constitution apport spécifique de Sieyès qui le distingue de ses prédécesseurs. Les deux premiers moments ont pour finalité à la fois d'expliquer que la nation est la source de la légitimité, et qu'elle ait pu être privée de l'exercice de ses droits. L'association est ce que l'on peut appeler le corps social et producteur ce à quoi Sieyès fait référence au début de son texte. [...]
[...] Mais elle est aussi porteuse d'une critique radicale du libéralisme classique. Le libéralisme classique est universaliste. Il admet l'existence de fait des différences, mais, au nom de l'égalité, il se rend aveugle aux différences. L'égalité se définit comme cécité à la différence, car la prise en compte des différences, est dans cette conception, la première source de l'inégalité. Les droits égaux qu'il s'agit alors de faire reconnaître sont les droits universels, qui sont à la fois ceux de chaque personne singulière, en tant que sujet de droit, et ceux de personne en particulier. [...]
[...] Ces idées ne manquent pas de poser problème, problème exactement inverse et symétrique à celui que posait la conception artificialiste de la nation. Chez Fichte, comme chez Sieyès, la volonté est au principe de la nation. Mais si la conception artificialiste fait reposer la nation sur un vouloir individuel autonome des sujets engagés par contrat, la volonté est ici orientée par la foi, foi en la nation, foi religieuse, foi en soi. La conception fichtéenne de la nation comporte un aspect holiste. Est dite holiste toute conception du vivre ensemble selon laquelle le tout l'emporte sur la partie, donc sur l'individu. [...]
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