Si la politique a pu être comparée à une navigation en haute mer («le navire de l'État»), c'est sans doute parce que, dans un cas comme dans l'autre, la tempête (en politique, la stasis, le soulèvement séditieux) y brouille soudain tous les repères, contraignant de naviguer «à l'estime». Nous savons que l'homme est un être de passions. Mais une passion n'est jamais solitaire. Elle trouve le plus souvent son objet et son point d'appui dans l'autre homme. Ainsi, le politique a affaire à un tout passionnel, un ensemble de passions emboîtées et réciproques. La question est donc celle du rapport entre le ou la politique (l'absence d'article dans le libellé ne permet pas d'en décider et contraint d'envisager les deux sens) et ce qu'on peut nommer le jeu des passions.
[...] Comprendre et modérer le jeu des passions dans l'âme individuelle suffirait à établir 3 une justice dans le jeu des passions civiles. Tel est le «paradigme» au sens de Platon, un choc de deux silex (âme et cité), produisant une étincelle éclairante. Il se pourrait que le jeu des passions soit au coeur du politique. C. La connaissance du jeu des passions comme introduction au politique 1. Depuis Homère, Tragiques, romanciers, moralistes et fabulistes, bien avant la psychologie expérimentale ou la psychanalyse, ont contribué à enrichir le patrimoine de ce que nous savons des passions. [...]
[...] Identiquement, on verra, dans le passage du chapitre société civile» à celui de «L'État» des Principes de la philosophie du Droit, ce renversement qui fait glisser un débat d'intérêts égoïstes et passionnés, entre des «bourgeois», à une entente d'ordre universel et rationnel dans l'unité supérieure de l'État, entre des «citoyens» (le même mot Bürger désignant l'un et l'autre). Et l'on évitera de négliger les passages difficiles mais brillants de La première philosophie de l'Esprit, (1805) où Hegel tente d'établir le concept de «tyran» d'une manière positive. Le tyran a ceci de génial et de redoutable à la fois qu'il impose sa volonté parce qu'il sait qu'il s'agit de la volonté du peuple, bien que ce dernier ne le sache pas lui-même. Sa volonté tient lieu de volonté générale, alors déficiente. [...]
[...] Mais persiste dans ce domaine ce que Zweig a très bien nommé la «confusion» (die Verwirrung) des sentiments. Pourtant, ne serait-ce qu'au niveau quotidien de notre relation aux autres et de notre petite morale par provision, impossible d'évoluer en société sans se donner une connaissance de la sémiotique des signes que nos interlocuteurs nous envoient, serait-ce par la gestuelle infra-verbale que leur visage ou leurs mains ne cessent involontairement de manifester. Le bon connaisseur des hommes sera dit alors un «fin politique» Il peut suffire, dans le rapport avec autrui, «d'avoir de la psychologie» et de «sentir venir le vent». [...]
[...] Sans ces deux principes, qui calment définitivement l'agitation et la confusion produites par les passions débridées, les régimes politiques ne cessent de basculer les uns dans les autres, et l'homme tend vers l'horreur démocratique : un individu bariolé comme le bourdon, l'insecte de feu, faisant ceci à telle heure, cela à une autre, ne tenant pas en place (République Livre VIII), incapable de se vouer ce qui ne meurt jamais» et reste stable : la belle vérité de l'Idée. Le vrai politique n'est pas seulement un habile tisserand. Il est surtout le maître des passions, les siennes et celles des autres, qu'il sait d'abord répartir en grande catégories, éducables ou non, qu'ils sait ensuite tenir en respect, qu'il sait enfin convertir, retourner sur ellesmêmes, afin qu'apparaisse la seule passion exploitable : celle du vrai, du juste, du beau comme bien C. La fin des passions ? [...]
[...] L'homme est sociable depuis des millénaires, sans doute même par essence. Mais existe-t-il chose plus répugnante et plus terrible absence de politique et de communauté qu'une humanité réduite à l'unidimensionnel, selon l'avertissement de l'Ecole de Francfort, et en particulier de Herbert Marcuse ? Insociable chez Kant consonne alors avec intransitif chez Baudrillard, artiste chez Nietzsche ou résistant chez Deleuze. La passion doit donc être analysée (au sens chimique) pour son précipité d'intensité. La passion, c'est la négativité même de l'esprit qui résiste aux pensées uniques, aux slogans partisans, répétés de bouche uniforme, à la conversion de toutes choses en termes financiers ou commerciaux. [...]
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