Alors que le déclin de la monarchie absolue est initié, Jean le Rond d'Alembert et Denis Diderot entreprennent la réalisation d'un projet ambitieux : la rédaction de l'Encyclopédie. Première véritable encyclopédie française, elle est aujourd'hui restée comme un extraordinaire aperçu des idées de philosophes qui ont participé à sa rédaction.
Louis de Jaucourt (1704-1774) fut l'un des principaux rédacteurs de l'Encyclopédie. Il en a rédigé près de la moitié des articles (soit 18 000) à tel point qu'on le surnomma « l'esclave de l'Encyclopédie ». Disciple de Montesquieu, il est aujourd'hui moins présent dans les mémoires que Diderot ou d'Alembert. C'est certainement un tort. Il a rédigé de nombreux articles dont l'importance, en partie liée à leur engagement, fut déterminante. Parmi eux, « esclave » et « la traite des nègres » firent date.
Dans « la traite des nègres », Louis de Jaucourt adopte une position inédite pour son temps en demandant l'abolition de la traite des nègres, qu'il définit lui-même comme « l'achat des nègres que font les Européens sur les côtes d'Afrique, pour employer ces malheureux dans leurs colonies en qualité d'esclaves ». En quoi, au travers de la condamnation de la traite des nègres, le texte, en rupture avec l'esprit de son temps, est-il représentatif des principaux idéaux des Lumières ?
[...] Le XIXe siècle verra l'avènement du positivisme. La condamnation de la traite des noirs initiée par les Lumières n'a pas pris et beaucoup de scientifiques tenteront de démonter l'infériorité de la race noire de façon scientifique. Ce texte me semble désamorcer ces recherches avant même qu'elles aient commencées : l'infériorité de la race noire ne se prouve pas pour la simple et bonne raison qu'elle n'est pas. [...]
[...] Ose te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des lumières Ce projet suppose deux choses. D'une part que tous les hommes disposent d'un entendement et qu'ils aient la capacité d'en faire usage ; d'autre part qu'on les laisse s'émanciper de leurs tuteurs Dans l'article de Louis de Jaucourt, aucune distinction ne semble être faite entre les hommes blancs et les hommes noirs. Bien plus, le fait qu'il n'y ait aucune justification ou tentative de démonstration pour appuyer ce constat qui est à l'époque relativement inhabituel montre que ce fait s'impose comme une évidence : l'auteur, tellement convaincu de ce qu'il avance, n'éprouve même pas le besoin de tenter de se justifier. [...]
[...] Il reconnaît donc, indirectement certes, l'existence d'un entendement chez les hommes de couleur noire. Si cela semble évident aujourd'hui, il faut rappeler que cela ne l'était pas le moins du monde il y a deux siècles. Non seulement les hommes noirs ont la faculté de penser, mais ils sont capables de s'en servir ! Au travers de cet exemple, il est possible de constater que certains représentants des Lumières sont capables de reconnaître de l'humanité dans l'altérité. La figure de l'homme des Lumières est ici dressée : provenant de toutes origines, il est pourvu de raison. [...]
[...] Celle-ci semble aller de pair avec l'émancipation des individus, éclairés par les Lumières de la raison. Jaucourt prédit que lorsque la traite sera abolie, et l'esclavage avec elle, les hommes ayant retrouvé leur liberté, les arts, les talents y fleuriront Les anciennes colonies se peupleront d'hommes industrieux et l'industrie, ingénieuse et inventive trouvera mille moyens différents de se procurer les richesses Il y a donc ici une véritable foi dans l'idée de progrès. le texte dans l'histoire des sciences Une revalorisation incomplète de la raison On sait que les Lumières se trouvent à une étape charnière entre deux conceptions différentes du monde. [...]
[...] En fait, la position soutenue par Louis de Jaucourt est d'une extraordinaire modernité. Mis à part l'emploi du terme nègre ce texte aurait très bien pu être écrit à notre époque. Au XVIIIe siècle, il existe deux positions radicalement opposées face à la traite des noirs et à l'esclavage. L'Eglise, encore très influente en France au XVIIIe siècle, a tendance à lui être favorable. À l'instar du théologien Jean Bellon de Saint-Quentin, de nombreux membres de l'Eglise soutiennent que l'on peut pratiquer la traite en conscience. [...]
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