La quatrième proposition, issue de l'Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, compose le projet kantien de constitution d'une histoire universelle qui, spécifiquement, se situe du point de vue des fins de l'homme; c'est-à-dire dans la perspective du cosmopolitisme. Histoire de l'humanité autant qu'histoire de l'espèce, elle considère l'homme comme un tout et non comme un agrégat d'invidualités. Le récit qu'elle fait du libre jeu du vouloir humain, y compris dans ce qu'il a de plus contradictoire et confus, l'amène ainsi à l'apprécier comme le signe d'un développement continu « bien que lent » des dispositions naturelles humaines. Ni science historique ni histoire naturelle, récit raconté à partir de sa fin, elle implique l'action. Seul moyen pour le philosophe Kant pour ne voir en l'histoire qu'une vaine et absurde agitation humaine et ne pas perdre espoir devant un tel spectacle. Alors plutôt que d'isoler des faits remarquables dans le but de construire une histoire des individus, l'histoire de l'humanité va plutôt s'attacher à dessiner les contours, les lignes de fuite d'une échappée possible vers le cosmopolitisme; comme pour inciter les hommes à agir d'une manière éclairée en leur montrant le sens final de l'histoire qu'il produise, et donc par là de « l'effort » leur restant à fournir.
Quel est le moteur de cette histoire de l'espèce humaine ? C'est à cette question que répond la quatrième proposition à travers l'existence d'une contrariété interne chez l'homme: l'insociable sociabilité. Et celle-ci trouve son plein emploi, son antagonisme, dans la Société. D'un point de vue argumentatif, ce concept d'insociable sociabilité permet en outre de concilier l'idée d'un déterminisme naturel et l'horizon d'une liberté pour lequel l'homme, au niveau de l'espèce et à son corps défendant, travaille. Et il éclaire également comment le plein développement des dispositions naturelles de l'homme vise, à l'échelle de l'espèce, une destination morale par l'extension du droit appliqué aux nations elles-mêmes. C'est l'idée d'une « société des nations ».
[...] Ici, cette dernière apparait comme un milieu favorable au développement des dispositions naturelles de l'homme puisque, comme nous le précise Kant, l'homme se heurte à ses semblables. Son égoisme, son individualisme, sa manière de se soustraire à la totalité, l'amène, étrangement, à faire contre et avec les autres. Pour le dire autrement, la lutte individuel du tous contre tous, la résistance rencontrée sur le chemin de son instinct, paradoxalement contrecarre sa soif de domination; elle fait, en un sens, loi Ces premiers pas hésitants de l'homme constitue pourtant la marche continue d'un progrès, lequel constitue l'arrachement troublé à l'état de nature. [...]
[...] Par ailleurs, est ce que l'histoire fragmentaire esquissée par Kant estelle réellement analogue à une histoire naturelle ou relève davantage d'une histoire de la nature comme le distingue JeanMichel Muglioni dans son ouvrage La philosophie de l'histoire de Kant : Alors que la description de la nature montre dans tout l'éclat d'un grand système'', l'histoire de la nature n'est faite pour l'instant que de ''fragments ou hypothèses chancelantes N'oublions pas d'insister pour éviter de les confondre sur le terme d'idée d'histoire universelle. Ce n'est pas un projet comme les autres, c'est autant une histoire qu'un appel pour la réaliser. Elle implique et exige une réalisation. L'insociable sociabilité est cet antagonisme qui vaut comme explication de la société. [...]
[...] Afin de résoudre ce problème le philosophe va utiliser deux points de vue distincts. Il va jouer sur deux échelles différentes: l'échelle individuelle et l'échelle de l'espèce. En s'attachant à montrer qu'individuellement, cette contradiction interne produit de la lutte car l'homme veut tout diriger dans son sens Nous le voyons particulièrement bien ici : il s'agit d'un conflit de volonté. Ne songeant qu'a poursuivre sa fin particulière, et souvent au préjudice d'autrui l'individu bute contre le vouloir d'autrui. C'est à cet endroit qu'il rencontre de la résistance : il s'attend à rencontrer des résistances de tous côtés, de même qu'il se sait par luimême enclin à résister aux autres Moteur de sa transformation, c'est l'élan de sa marche humaine vers le progrès : C'est cette résistance qui éveille toutes les forces de l'homme, le porte à surmonter son inclinaison à la paresse et, sous l'impulsion de l'ambition, de l'instinct de domination ou de cupidité, à se frayer une place parmi ses compagnons qu'il supporte de mauvais gré, mais il ne peut se passer. [...]
[...] Emettons une interprétation : l'individu en poursuirvant ses intérêt s est conforme à ses désirs et au niveau de l'espèce, il développe son potentiel. Ce qui apparaît contradictoire ne l'est pas si on tient compte d'une double lecture à la fois individuel et au niveau de l'espèce. C'est pourquoi Kant qualifie cet accord se nouant sur deux niveaux distincts qui n'entrent pas en contradiction. Et le fait d'extorquer pathologiquement un accord renvoie ici au fait que l'homme ne sait pas pour quel raison travaille. [...]
[...] Peutêtre estce là ce que Kant nomme par valeur sociale de l'homme ? La sociabilité serait donc cette chose qui pousse l'homme vers la culture, le pousse à faire taire partiellement, ses inclinaisons afin de faire bloc. Ce faisant, elle produit tous les talents parmi lesquels on trouve le goût, la clarté, une forme de pensée et enfin le discernement moral en principes pratiques déterminés. C'est un processus au terme duquel se trouve la morale. Il s'agit effectivement d'un progrès, au sens d'une histoire comme série de transformations, au cours duquel l'homme s'arrache au règne de la nature, de l'instinct pour le jeter sur la voie d'une pensée Il n'y a pas de différence de nature entre l'une et l'autre bout de la chaîne mais tout au plus une différence de dégrés. [...]
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