Dans ce texte, Tocqueville entend montrer le problème propre aux sociétés démocratiques et y apporter une solution. Les démocraties en effet sont traversées par un paradoxe qui vient toujours les menacer de l'intérieur : il suffit de donner au peuple la souveraineté pour que celui-ci se désintéresse toujours davantage des affaires publiques. De plus en plus individualiste, se sentant de moins en moins concerné par le bien public, le citoyen d'une société démocratique a toujours tendance à laisser ses représentants (les députés, le gouvernement) se préoccuper des « affaires générales » de l'État. Or ces représentants viennent par définition des quatre coins du pays ; ils ne se réunissent que ponctuellement en un lieu précis (par exemple l'Assemblée nationale) et n'ont aucun rapport personnel entre eux.
Les décisions qu'ils prennent n'intéressent que peu le citoyen, parce qu'elles lui semblent éloignées des conditions concrètes de son existence. En revanche, lorsqu'on passe du pays tout entier au canton, les hommes ont entre eux des rapports quotidiens et incessants : ils ont besoin les uns des autres, ils fréquentent sans cesse les mêmes lieux, ils se connaissant, leurs différentes familles ont contracté une multitude d'alliances et de contrats (par exemple par le biais du mariage). Le citoyen d'un État démocratique a donc toujours tendance à se refermer sur ses simples intérêts privés, et à se désintéresser de la politique ; mais alors, la solution à un tel repli sur soi ne serait-elle pas d'opérer une décentralisation du pouvoir, en chargeant les citoyens (par exemple par l'intermédiaire d'associations) de régler eux-mêmes les problèmes qui les concernent directement ? C'est donc en s'appuyant sur leur intérêt pour les affaires locales qui les touchent qu'on évitera aux citoyens d'un État démocratique de ne plus se préoccuper des questions politiques, qu'on les obligera à s'intéresser au bien public autant qu'aux autres hommes.
[...] Extrait de Tocqueville "De la démocratie en Amérique" Les affaires générales d'un pays n'occupent que les principaux citoyens. Ceux-là ne se rassemblent que de loin en loin dans les mêmes lieux ; et, comme il arrive souvent qu'ensuite ils se perdent de vue, il ne s'établit pas entre eux de liens durables. Mais quand il s'agit de faire régler les affaires particulières d'un canton par les hommes qui l'habitent, les mêmes individus sont toujours en contact, et ils sont en quelque sorte forcés de se connaître et de se complaire. [...]
[...] En revanche, il comprend très bien ce qu'est l'État quand ce dernier intervient dans ses affaires privées : si la puissance publique décide de faire passer un chemin au bout de son domaine l'individu concerné s'intéressera à cette petite affaire publique en proportion exactement inverse qu'il se désintéresse des grandes : il aura toujours moins d'attention pour des questions importantes, mais générales et pour lui abstraites, que pour une petite affaire publique qui le concerne et peut avoir des conséquences pour sa vie en valorisant son bien ou au contraire en en diminuant la valeur. Voyant tout à partir de lui- même, ne jugeant de tout qu'à partir de son propre intérêt, l'individu démocratique estimera grande toute affaire qui engage sa personne ou ses biens, bref, toute affaire privée. b. Comment éviter le repli sur soi du citoyen ? [...]
[...] Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quand au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie Conclusion Le problème que pose notre texte semble alors étrangement d'actualité : si les citoyens ne sont plus capables de s'intéresser aux grandes affaires publiques, si la recherche de leur confort personnel leur sert de seule idéologie, autant faire de leur vice une vertu. En déléguant le pouvoir local à des associations de citoyens, affirme Tocqueville, on évitera le délitement complet du tissu social, on obligera les hommes à sortir de leurs seuls intérêts privés. [...]
[...] En garantissant les libertés locales (c'est-à-dire une décentralisation réelle du pouvoir concernant la gestion des petites affaires), l'État permettra au citoyen de voir un peu plus loin que sa famille ou son domaine. Il brisera la tendance au repli sur soi et à l'individualisme, qui caractérise les hommes des sociétés démocratiques. Il mettra un frein à ces instincts qui les séparent instincts qui n'ont rien de naturel et qui ne sont finalement que la conséquence de l'égalité croissante des conditions. II. Intérêt philosophique 1. [...]
[...] Au nom de tous les citoyens, ils discutent des lois générales de l'État. Mais précisément parce qu'ils représentent la nation tout entière, ils ne sauraient disputer de problèmes locaux, trop insignifiants à l'échelle de leur assemblée. Même s'ils en avaient la possibilité, il n'est pas dit du reste qu'ils soient les mieux placés pour en discuter, précisément parce que ces affaires locales sont aussi particulières, et qu'il faut bien connaître une situation à chaque fois singulière pour en parler de façon adéquate. [...]
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