Dans ce texte, Russell entend montrer que la morale est « étroitement liée à la politique », entendons par là à la vie en communauté : elle est une « tentative » (sans doute « infructueuse ») pour concilier au sein du corps social des désirs individuels divergents, voire contradictoires, bref pour « imposer à des individus les désirs collectifs d'un groupe ». Ce qui est contraire au désir collectif est un mal, ce qui lui est conforme est un bien ; et inversement, quand un individu juge « mauvaise » une loi par exemple, c'est en fait parce qu'elle vient contredire ses propres désirs : se réclamer de la morale, c'est en fait toujours poser la supériorité de ses désirs sur ceux des autres. Russel commence donc son texte par l'exposition d'un constat qualifié d'évident, et que la suite de son propos va tenter de fonder : chacun d'entre nous nomme « bon » ce qui est conforme à son désir et « mauvais » ce qui le contredit.
La seconde partie de notre texte peut alors établir que la morale est une invention sociale destinée à résorber le conflit : comme chacun juge du bien en fonction de ses seuls intérêts particuliers et que chacun s'oppose en ceci à tous ceux qui ont des désirs contraires, chacun se cherche des alliés, entendons par là des individus dont les désirs sont semblables aux siens, ou du moins compatibles. Quand un individu ne trouve aucun allié, il est mis au ban de la société et ramené au rang de pécheur. Quand un camp l'emporte sur l'autre, il lui impose de renoncer à la satisfaction de ses désirs, qualifiés de moralement coupables et mauvais ; et ceux-là mêmes qui sont ainsi frustrés de leur satisfaction n'auront de cesse d'inverser la situation, c'est-à-dire de tourner le rapport de force en leur faveur en leur imposant leurs désirs au groupe. Le conflit au fond demeure, et la tentative pour l'apaiser, certes nécessaire, est cependant dès le départ vouée à l'échec.
[...] La morale est donc cette tentative pour imposer à des individus les désirs collectifs d'un groupe : le désir le plus répandu à force de loi et d'impératif contraignant, ce qui permet de justifier la sanction frappant tous ceux qui viennent le contredire. Mais étant le fruit d'un tel rapport de force, la morale est un essai d'avance voué à l'échec, bref une tentative infructueuse Ceux qui ne partagent pas les désirs du groupe ne se soumettent que contraints et forcés, et demeurent au fond d'eux-mêmes persuadés qu'on leur fait une injustice : n'est-ce pas simplement parce que leur désir n'est pas celui de la plupart qu'ils sont privés, sans autre raison, d'une satisfaction en soi légitime ? [...]
[...] Le nombre faisant la force et la force faisant le droit, chacun tente d'enrôler des alliés c'est-à-dire en fait des gens dont les désirs sont compatibles avec les siens, et antagonistes à ceux de l'autre : j'en appellerai aux autres promeneurs, il battra le rappel des différents propriétaires, les uns défendant le droit de passer, les autres d'interdire le passage. Qui alors aura raison ? Qui devra triompher ? La réponse de Russell est simple : la force fait le droit, elle fait aussi la morale. Les plus nombreux verront leur cause triompher : c'est pour cela que les seuls actes communément réprouvés sont en fait ceux qui viennent contredire l'intérêt de presque tous. [...]
[...] Certes, il y a des criminels et des hommes méchants ; mais contrairement à ce que dit Russell, ils trouvent en eux- mêmes leur juge le plus sévère, sans quoi ils ne passeraient pas leur temps à s'inventer des excuses. [...]
[...] Le bien et le mal se définissent par rapport au désir a. Position d'un constat Russell part du constat d'une évidence sans toutefois s'en contenter, puisqu'il essayera de la justifier en raison : toute l'idée du bien et du mal est en relation avec le désir Telle est du moins la tendance naturelle de chaque individu : ce qu'il désire est un bien, et ce qui facilite la satisfaction de ce désir est soi-même bon. Inversement, ce que je redoute est mauvais : le bon et le mauvais n'existent pas en soi, ils sont la conséquence d'une attitude subjective. [...]
[...] Il répliquera - Que restera-t-il de cette beauté si l'on permet aux promeneurs de semer la dévastation ? Chacun tente d'enrôler des alliés, en montrant que ses propres désirs sont en harmonie avec les leurs. Quand c'est visiblement impossible, comme dans le cas d'un cambrioleur, l'individu est condamné par l'opinion publique, et son statut moral est celui du pécheur. La morale est donc étroitement liée à la politique : elle est une tentative pour imposer à des individus les désirs collectifs d'un groupe ; ou, inversement, elle est une tentative faite par un individu pour que ses désirs deviennent ceux de son groupe. [...]
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