Dans ce texte, Hobbes entend expliquer pourquoi les hommes ont choisi de vivre en société, plutôt que de demeurer « hors de la société civile » comme ils l'étaient à l'état de nature. Car enfin, pourquoi accepter d'être gouvernés, le gouvernement fut-il « bien établi » ? Vivre dans une société dotée de lois, c'est en effet voir être limitée sa liberté naturelle, celle de faire « tout ce que bon nous semble ». Pourquoi accepterions-nous que des commandements impératifs nous dictent notre conduite, nous interdisent de satisfaire certains de nos désirs, nous menacent de sanctions si nous ne faisons que ce que nous voulons et non ce que les lois ordonnent ?
Certes, « hors de la société civile », chacun jouit entièrement de sa liberté naturelle, celle de n'agir que selon son bon vouloir ; mais dans cet état, cette liberté est destinée à n'être qu'une vaine chimère, une promesse « infructueuse » : si hors de tout état civil, de tout gouvernement et de toute loi, je puis effectivement faire ce que je veux, cette liberté est également celle d'autrui ; qu'il décide de me « faire souffrir », de me priver de mon bien parce qu'il le convoite ou même de m'ôter la vie sans autre motif que son bon plaisir, il le peut, pourvu seulement qu'il en ait la force. Dans un état civil où le gouvernement est bien établi en revanche, nos libertés sont certes limitées, mais elles sont garanties par cette limitation même : si je ne suis plus libre de faire ce que je veux, autrui de son côté n'est plus libre non plus de faire ce qu'il veut de moi ou de mes biens. Dans un état civil doté de lois, l'État devient le seul détenteur du pouvoir légitime d'user de la force : si quelqu'un m'attaque, ce n'est donc jamais à moi seul qu'il s'attaque, mais à toute la puissance publique, dont il ne saurait triompher. La simple prudence l'incitera alors à renoncer à un combat perdu d'avance.
[...] La société civile garantit la propriété de chacun On objectera sans doute qu'à l'état de nature ma possession s'étend à toute chose : pour m'emparer de ce que je convoite, il suffit que je m'en empare. Chacun y a à proprement parler tous les droits, alors que dans l'état civil nos droits nous sont accordés par la loi et donc limités par elle. Mais justement : hors de la société mes possessions ne sont pas plus assurées que ma liberté elle-même. Comme chacun prétend étendre ses droits sur toute chose, chacun peut voir à tout instant sa propriété contestée par n'importe qui d'autre. [...]
[...] En passant à l'état civil, nous ne limitons nos libertés que dans l'exacte mesure exigée par la sécurité de chacun : il y a à la base de toute société un contrat que chacun a tout intérêt à signer, puisqu'il y gagne plus que ce qu'il abandonne. Mais sur quoi Hobbes se fonde-t-il pour décrire en ces termes un état de nature qui n'est au mieux qu'une hypothèse, puisque nous ne connaissons que l'homme à l'état civil ? Car enfin, même les sociétés les plus primitives sont dotées de conventions tacites, d'interdits, de contraintes et de garanties. [...]
[...] Dans le gouvernement d'un État bien établi en revanche, chacun voit sa liberté garantie par la loi et par toute la force publique (si tant est que la loi est vaine, quand elle ne sait pas se faire respecter en punissant les contrevenants). Quand l'État est-il alors bien établi ? D'une part quand il dote les lois de la force nécessaire à leur respect et d'autre part quand il n'ôte pas aux individus particuliers c'est-à- dire aux sujets, plus de liberté que nécessaire. [...]
[...] Car enfin, pourquoi accepter d'être gouvernés, le gouvernement fut-il bien établi ? Vivre dans une société dotée de lois, c'est en effet voir être limitée sa liberté naturelle, celle de faire tout ce que bon nous semble Pourquoi accepterions-nous que des commandements impératifs nous dictent notre conduite, nous interdisent de satisfaire certains de nos désirs, nous menacent de sanctions si nous ne faisons que ce que nous voulons et non ce que les lois ordonnent ? Certes, hors de la société civile chacun jouit entièrement de sa liberté naturelle, celle de n'agir que selon son bon vouloir ; mais dans cet état, cette liberté est destinée à n'être qu'une vaine chimère, une promesse infructueuse : si hors de tout état civil, de tout gouvernement et de toute loi, je puis effectivement faire ce que je veux, cette liberté est également celle d'autrui ; qu'il décide de me faire souffrir de me priver de mon bien parce qu'il le convoite ou même de m'ôter la vie sans autre motif que son bon plaisir, il le peut, pourvu seulement qu'il en ait la force. [...]
[...] Là où seule la force fait le droit, ce n'est pas la liberté qui triomphe, c'est le continuel brigandage et la violence généralisée : je puis certes y satisfaire tous mes désirs, posséder toute chose que j'estime devoir me revenir, mais à la seule condition que j'aie assez de pouvoir pour dominer les autres. Or nul n'est assez fort pour être assuré de l'être toujours ; davantage même : plus je suis puissant, plus j'ai pu satisfaire mes désirs, et plus je deviens l'objet de la jalousie des autres, plus je suis la cible potentielle de leurs attaques. Et serais-je toujours le plus fort s'ils étaient cinq, s'ils étaient dix, vingt, cent ? [...]
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