La question du fondement de la moralité est constante dans l'histoire de la philosophie, et Locke défend ici la thèse selon laquelle un principe moral universel, qui devrait être inné, est introuvable. En admettant, comme on le fait volontiers, que la justice et le respect des contrats (ou de la parole donnée) seraient admis partout, on fait remarquer que leur application peut se constater jusque chez les hors-la-loi. On oublie seulement que ces derniers admettent de tels principes entre eux, mais non dans leur comportement vis-à-vis des autres hommes; et le fait que toute société, pour demeurer cohérente, doive les reconnaître de manière interne ne suffit pas pour les affirmer comme universels.
[...] S'il est vrai que tous les hommes sont avides de leur bonheur, ils sont plus volontiers prêts à défendre ce qui leur semble, de manière sensible, correspondre à leur intérêt immédiat ou à court terme, qu'à contrarier un tel intérêt pour se hausser au niveau d'une morale universelle. [Conclusion] Le refus de tout a priori qui fonde la moralité paraît donc condamné à admettre une sorte de relativisme moral, soutenu par l'intérêt de chaque groupe d'hommes. L'accès à une morale universelle par un apprentissage empirique semble lui-même souvent voué à l'échec. À s'en tenir à ce que propose cet extrait, on voit mal comment aller au-delà du constat d'une diversité des conduites ou des valeurs morales. [...]
[...] En effet, s'il reste vrai que les brigands se comportent moralement» à l'intérieur de leur groupe et à l'égard de leurs complices, on constate qu'ils ont une conduite bien différente à l'égard des autres hommes, puisqu'ils ne se privent pas de les piller ou de les assassiner. Il apparaît ainsi que, s'ils respectent des règles dans leur groupe, ils se gardent bien d'en considérer la portée comme universelle. Une règle dont l'application est variable en fonction des' personnes ne saurait être considérée comme universelle ou innée. [...]
[...] Je reconnais que les hors-la-loi eux-mêmes les respectent entre eux ; mais ces lois ne sont point respectées comme des lois de nature innées; elles sont appliquées comme des règles utiles dans leur communauté; et on ne peut concevoir que celui qui agit correctement avec ses complices mais pille et assassine en même temps le premier honnête homme venu, embrasse la justice comme un principe pratique. La justice et la vérité sont les liens élémentaires de toute société: même les hors-la- loi et les voleurs, qui ont par ailleurs rompu avec le monde, doivent donc garder entre eux la fidélité et les règles de l'équité, sans quoi ils ne pourraient rester ensemble. Mais qui soutiendrait que ceux qui vivent de fraude et de rapine ont des principes innés de vérité et de justice, qu'ils acceptent et qu'ils reconnaissent? [...]
[...] En elle-même, elle n'a en effet rien de très surprenant : tout le monde peut être prêt à admettre que le souci de la justice et le respect d'une parole engagée composent les bases d'une morale qui risque d'être appliquée par toute l'humanité, parce qu'on aura du mal à fournir des exemples (notamment historiques) de sociétés dans lesquelles on considérerait comme morales la quête de l'injustice et la mauvaise foi. L'affirmation a donc pour elle une sorte d'évidence, qui peut la faire admettre comme vraie. [II - L'exemple crucial des sociétés de brigands] [A. [...]
[...] Ne pas voir plus loin que le bout de son nez peut être rassurant, mais évidemment trompeur, puisque cela invite à généraliser ce que l'on vit soi-même, à prendre pour une vérité universelle ce qui peut n'être qu'une situation particulière. [B. Qualités théoriques d'un principe moral universel] Locke prend plaisir à souligner au passage les caractéristiques du principe moral universel à la recherche duquel il convie - qui se révéleront ensuite autant de sources de difficulté. Il précise en effet que cette vérité pratique (au sens classique: susceptible d'être appliquée dans l'action) doit être acceptée sans doute ni problème aucun»: l'apparition du plus petit doute ou du moindre problème suffira à contester son existence, car une certitude absolue doit accompagner une- vérité innée Or une vérité universelle doit nécessairement être innée, en raison même de la diversité des existences humaines; si la vérité pratique dépendait, pour son élaboration, de ces dernières, elle ne pourrait être universelle, il faut donc qu'elle' soit inscrite antérieurement à la diversité des existences et des sentiments qu'elles peuvent susciter, c'est-à-dire innée. [...]
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