Le sensible nous empêche-t-il d'avoir accès à l'intelligible ? C'est précisément ce que l'allégorie de la caverne de Platon cherche à illustrer. Dans La République (Livre VII), le disciple de Socrate présente ainsi les hommes enchainés, victimes de leur illusion, d'images –les ombres sur le mur- et devant se libérer pour atteindre progressivement le monde des Idées, et surtout l'Idée la plus haute, l'Idée du juste.
Il semble dès lors que l'art, qui fixe le monde sensible, ne peut avoir quelque rapport avec la politique, la politique en tant que savoir pratique qui nait donc de la raison. L'art et la politique sont tous deux une techné, mais la comparaison semble s'arrêter la.
Ainsi, si l'art particularise, n'est-il pas antithétique de la politique, qui elle doit généraliser ? Mais la force des images peut « sous-lever » des questions politiques, c'est-à-dire des questions spécifiques qui s'enracinent dans une temporalité précise. Plus encore, la recherche du sublime permet un débordement, permet de dépasser la stricte temporalité des questions, pour les projeter vers un idéal.
[...] Ainsi, les premiers mécènes n'étaient autres que la noblesse, le pouvoir ou même l'Eglise. L'art, dans le cas du roi, lui permettait d'établir un pouvoir tutélaire, être nulle part et partout à la fois grâce à de nombreuses statues, et de s'assurer une postérité. Ainsi, Louis Marin explique bien la représentation de Louis XIV par une quasi théâtralisation. Mais qu'est-ce qu'une force ? La force est une violence finalisée. Qu'elle est alors la finalité de l'art ? La finalité de l'art est-elle la politique ? [...]
[...] De plus, selon Rousseau, le théâtre dévoile les inégalités : l'organisation des théâtres classiques comporte en effet un poulailler, des loges Mais dans ce sens-ci, si le théâtre, par extension l'art, dévoile les inégalités, il dévoile une relation de domination ou de subordination, et partant une question politique. Dès lors, la dialecticité politique-art est-elle naturelle ? Nécessité-t-elle un autre facteur ? Le verbe soulever, ou plutôt sous- lever, peut se comprendre comme lever par-dessous et suppose dès lors la force. Mais qu'elle est cette force ? La force des images. Les images parlent en effet aux sens, on l'a vu, mais ce défaut qui semblait sceller l'incompatibilité art/politique se transforme en force. [...]
[...] Par la représentation, l'art peut sous-lever c'est-à-dire dévoiler, mettre à jour des questions politiques. Celles-ci témoignent d'occupations spécifiques. Or l'art ne peut que les représenter, et re-présenter est toujours déréaliser. Lorsque je présente à nouveau, il y a perte d'épaisseur. De plus, l'art empêche un usage de la raison. Comparaison n'est pas raison selon Rousseau. L'art parle au sensible et évite donc l'usage de la raison, qui est nécessaire et incontournable en politique. C'est précisément l'accusation de Socrate, et partant Platon, envers la rhétorique, l'art de bien parler. [...]
[...] C'est beau semble être une imposture langagière, car c'est le jugement, la sensibilité d'un sujet qui s'exprime et non un jugement universel propre à tous les hommes et à toutes les époques. Différent critères du beau se succèdent d'ailleurs, et peuvent même cohabiter, dans le sens où le beau particularise. Ainsi, l'âge classique prône les proportions parfaites (le nombre d'or en architecture par exemple) et des sujets classiques, figuratifs. Depuis Baudelaire, l'artiste peut prendre pour sujet quelque chose de laid L'huitre de F. Ponge), de banal, d'inattendu L'origine du monde de Courbet) ou d'abstrait (Mondrian, Kandinsky). Si l'art particularise, comment peut-il servir la politique, qui elle se doit de généraliser ? [...]
[...] Verlaine, quant à lui, fait rime automne avec monotone pour exprimer la fin de la nouveauté dans l'art, ce qui est certes une question importante, mais pas politique. Ainsi, la vraie question aurait pu être : l'art peut-il soulever des questions politiques ? L'art peut donc soulever des questions politiques, par la mise en lumière, la force et le sublime. Mais pour que l'art ait un effet sur la réalité, l'art touchant l'imaginaire, il faut la volonté de l'artiste mais aussi celle du public : il interprète les œuvres, et leur donne parfois un sens, intuition, personnelle. [...]
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