Corps et Humanités, Malraux, Camus, Sartre, humanisme, conscience, absurde, Dostoïevski, roman moderne, métaphore du corps, l'intemporel, chaos, paix, irréalité, corps, écriture malrucienne, corps héroïque, culture, passion, Brigade Alsace-Lorraine, Maurice Blanchard, Bernaos, personnage malrucien, corps iréel, Flaubert, schéma corporel, métaphore
À la lecture de l'oeuvre d'André Malraux - ininterrompue - on est frappé par la persistance, jamais reconnue par l'auteur mais toujours audible, d'une obsession de la question du corps humain, corps-propre, corps de l'autre, qui domine et englobe sa hantise déclarée de la condition tragique de l'homme. Cette obsession semble s'appuyer sur un schéma corporel extrêmement problématique, qui ne cesse d'influencer à la fois les partis pris stylistiques et les thématiques développées, les uns s'enlaçant aux autres et formant une masse scripturale souvent inextricable, à l'image de la difficulté de Malraux à clarifier sa pensée du corps. Intellectuel, doué d'une parole brillante, l'écrivain produit des textes parfois déconcertants - essentiellement, les romans - qui traduisent un combat sans doute désespéré contre les « évidences » aussi bien de la forme littéraire que du corps, inséparables l'une de l'autre. Aussi nous est-il possible d'affirmer que Malraux fait partie des écrivains qui ont fait du corps le sujet de leur oeuvre. Chez Malraux, l'originalité de la perception du corps est qu'il est présent partout dans l'oeuvre, même s'il n'est pas toujours décrit, évident ou apparent, et plus particulièrement à côté de la parole. La parole, qui s'interroge inlassablement sur le destin mortel de l'homme, notamment dans les incessantes conversations que mènent les personnages des romans entre eux, dans la nuit silencieuse, dans l'obscurité des maisons ou lors des promenades dans les villes désertes, produit un discours qui ne semble appartenir en propre à aucun personnage particulier. Souvent, il semble qu'on est en présence d'un phrasé uniforme aux répliques interchangeables, mais qui ne paraît pas non plus émaner d'un corps vivant, avec ses caractères propres, ses représentations, ses descriptions, ses conceptions. Toutefois, l'indication de mimiques apparaît aussi stéréotypée et plus encore pourrait même désorienter une lecture ou une analyse des textes de Malraux.
[...] Un peu plus loin dans Lazare il note: « En face de cette menace informe, mon sentiment le plus constant est la stupéfaction. »55 Pourtant Malraux ne cesse jamais d'interroger, dans un questionnement angoissé, fébrile, le sens de la vie humaine, « la part de l'homme qui cherche aujourd'hui son nom, et n'est certes pas l'individu » (cité plus haut). Quelle est cette part qui « cherche son nom »? L'homme est voué à disparaître, individuellement et collectivement, « l'histoire efface jusqu'à l'oubli des hommes »56. Ce que sait de manière radicale l'auteur, c'est que l'individu n'a aucune importance. « Peut-être investi par la mort, je me réfugie dans le récit d'un des plus énigmatiques sursauts de la vie. / L'individu n'y existe pas. Le commandant Berger, à peine. [...]
[...] Très souvent, le visage est non pas écrit mais dessiné à travers les traits des sourcils, du profil, des rides. Ce n'est pas à proprement parler un visage mais un masque, exprimant presque toujours une force cruelle, c'est une tête de mort, et toujours, comme le note Malraux lui-même, une caricature. Ce traitement du visage humain apparaît de manière exemplaire dans l'épisode connu au cours duquel Clappique, après avoir perdu au jeu la somme d'argent qui était destinée à l'achat d'armes pour les insurgés, s'observe dans un miroir. [...]
[...] Bientôt, il n'y eut plus ni taureaux ni champs: partout la pierre, cette pierre d'Espagne jaune et rouge au soleil et que le ciel blanc rendait blafarde, plombée dans ses grandes ombres verticales?(?) Le sentier passait derrière un roc vertical qui, par instants, le surplombait; là où il changeait définitivement de direction était un pommier, en silhouette japonaise sur le ciel au milieu d'un champ minuscule. Ses pommes n'avaient pas été cueillies; tombées, elles formaient autour de lui un anneau épais, qui peu à peu retournait à l'herbe. Ce pommier seul était vivant dans la pierre, vivant de la vie indéfiniment renouvelée des plantes, dans l'indifférence géologique. [...]
[...] Il avait laissé pousser sa moustache: son visage était moins enfantin, plus dur, et Scali sentait reparaître l'ancien officier de Wrangel. Pol haussa les épaules, et leva l'index: - Je dis: andouille-maison. 'Ca pourrait mal tourner', pensa Attignies. - Comment es-tu venu ici? demanda-t-il à Saïdi. - Quand j'ai appris que les Maures combattaient pour Franco, j'ai dit à ma section socialiste: 'Nous devons faire quelque chose. Sinon, qu'est-ce que les camarades ouvriers diront des Arabes? », etc.616 Avec la mise en place de son escadrille anti-franquiste, Malraux découvre le brassage social, qu'il évoque toujours avec humour et affection. [...]
[...] Le terrain du combat est jonché de cadavres, l'Allemand porte le Russe sur son dos, Berger assiste au spectacle tragique: « ? ses doigts rencontrent quelque chose de répugnant, touffe de cheveux morts, toiles d'araignées, flocons de poussière agglomérés. Un corps poussé de bas en haut, en manches de chemise encore, surgit avec les bras pendants des descentes de croix. Tout près, une trentaine d'hommes sont écroulés dans une tranchée en un poste avancé de l'ennemi. Morts, plus ou moins nus, retombés sur un pillage de vêtements lacérés, cramponnés les uns aux autres en grappes convulsives. [...]
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