Si le rôle de la technique en littérature constitue de prime abord une question marginale — voire anecdotique —, force est de constater pourtant qu'elle affleure parfois au détour d'un mouvement littéraire ou d'une oeuvre particulière
[...] La nécessité d'intégrer la pluralité des formes d'écriture s'explique aussi par la situation actuelle. Dominée par l'objet livre, la production et le marché littéraire excluent de fait des formes d'écriture qu'elle ne participe pas à produire et à diffuser : l'écriture numérique. Cet état de fait permet de mettre en évidence une situation en réalité curieuse, dans laquelle l'écriture est de facto presque systématiquement confondue avec son support principal, l'objet livre. Or la littérature s'organise autour de textes et non de livres, qui ne sont qu'une modalité parmi d'autres d'expression des textes. [...]
[...] Or Crouzet rappelle que cette ignorance (volontaire ou non) n'est pas seulement le fait d'une méconnaissance du grand public, elle est également partagée par les acteurs eux-mêmes que l'art littéraire : critiques, éditeurs, auteurs, lecteurs avertis. Selon l'auteur, cette exception s'explique aussi bien par le contexte historique (l'histoire de la technique de l'écriture a connu une certaine stagnation avant l'invention de la machine à écrire) que par la nature même de l'écriture (le geste est invisible au lecteur) et les modes d'analyse des textes, qui excluent presque systématiquement l'angle technique pour lui préférer d'autres modalités de lecture (biographique, symbolique Cette situation explique en grande partie que l'acte d'écrire soit généralement perçu comme une acte équivalent quel que soit la médiation employée pour obtenir un texte. [...]
[...] En cela, il établit une continuité directe entre les évolutions récentes des outils de production d'un texte et les premières alternatives à l'écriture manuscrite, apparues au tournant des XIXème et XXème siècles. C'est la raison pour laquelle nous faisons l'hypothèse qu'entre autres questions subsidiaires, l'ouvrage de Crouzet répond à une interrogation principale, celle de savoir dans quelle mesure (et comment) le geste technique oriente voire détermine la création littéraire. Pour saisir au mieux les enjeux de cette exploration, nous verrons dans un premier temps que l'auteur analyse l'étendue et les spécificités du rôle paradoxalement insoupçonné que joue la machine dans le processus d'écriture. [...]
[...] A cette métaphore du manuscrit s'oppose celle du cahier, qui correspond à l'écriture linéaire précédemment évoquée. Autrement dit, chaque technique d'écriture constitue une écriture à proprement parler, et l'auteur souligne donc le caractère circonstanciel des différentes médiations. Mais la diversification des outils d'écriture a profondément modifié les rapports que les auteurs ou plus généralement écrivants, comme le fait remarquer Crouzet entretiennent avec ces derniers. Or, conscients ou non, ces mécanismes de liens ne sont pas sans conséquences sur l'écriture elle-même, avec, en toile de fond, l'émergence de nouvelles opportunités, mais aussi de nouveaux risques. [...]
[...] Or le média d'expression joue un rôle déterminant dans l'écriture à son degré le plus réduit : le choix des lettres. De ce point de vue, Crouzet rappelle que des études ont permis de mettre en évidence qu'un outil comme le clavier, parce qu'il dispose les lettres selon un certain ordre, influence le choix de celle-ci et opère des rapprochements arbitraires entre les lettres. Autrement dit, la dimension technique de l'écriture par le clavier, par opposition à l'écriture manuscrite, n'est pas un paramètre neutre : elle pèse dans le choix du style. [...]
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