Rhinocéros, Ionesco, sujet d'invention, lettre à Daisy, désarroi de Bérenger
Si je me résous à vous écrire ce soir, c'est parce que le besoin de confier mon désarroi et mon inquiétude est tel que je ne peux trouver le sommeil. Vous seule pourrez sûrement me comprendre et m'écouter. Je n'aurais jamais osé vous écrire si je ne me sentais pas si désemparé après cette rencontre avec mon ami Jean. Permettez-moi de vous raconter l'étrange conversation que nous venons d'avoir...
[...] La personne si droite et si rigoureuse qu'il représentait pour moi, qui me recommandait d'aller au théâtre ou au musée pour me cultiver et pour développer en moi les valeurs humaines, semblait perdre tout ses repères. Lui, si sensé, si humain encore hier, comment il pu en arriver au point de dire que la nature était plus importante et qu'elle devait primer sur la morale ? J'ai tout essayé pour le ramener à la raison Daisy, je vous l'assure. Je lui ai pourtant bien affirmé que les hommes ont une morale propre et qu'elle est à mon avis incompatible avec celle des animaux. [...]
[...] Est-ce qu'ils vont tous vouloir devenir rhinocéros parce que les symptômes vont gagner tout le monde et qu'ils voudront faire partie de ceux qui ont le pouvoir ? Je ne serai pas de ceux-là Daisy. Je ne pourrais pas me reconnaître parmi ces créatures, je ne pourrais pas vivre seulement par instinct, me métamorphoser et me déshumaniser au point d'oublier les valeurs de l'humanité, tout cela simplement pour faire partie de la masse, des plus forts. Au moment où j'écris ces mots ma chère Daisy, une terrible angoisse m'envahit. [...]
[...] J'ose espérer que nous saurons faire face à cela. Je me sens tellement seul, et tellement perdu. Je m'aperçois dans cette épreuve que je tiens beaucoup à vous Daisy ; sachez que vous pourrez toujours trouver refuge auprès de moi, je me sens plus fort maintenant que je vous ait écrit ces lignes. Nous saurons résister à cette métamorphose, je vous en fais la promesse. Recevez ma chère Daisy, en ces moments si étranges, mes pensées les plus affectueuses. Bien à vous, Bérenger. [...]
[...] Il n'arrêtait pas de se déplacer bruyamment, il faisait des va et vient incessants du salon à la salle de bains ; même sa respiration devenait lourde. Je n'ai rien pu faire Daisy, je me suis senti si impuissant, si désespéré devant cette force bestiale qui semblait envahir mon ami ! Mon angoisse grandit d'heure en heure ma pauvre Daisy, et si mon ami le plus proche, Jean, devenait à son tour un rhinocéros ? S'il perdait lui aussi la raison, s'il se laissait contaminer par cette épidémie ? [...]
[...] Sujet d'invention : Bérenger écrit une lettre à Daisy, lui exprimant son désarroi, et expliquant sa dispute avec Jean. Objet d'étude : Rhinocéros, IONESCO. Compiègne, le 12 août 1959 Ma chère Daisy, Si je me résous à vous écrire ce soir, c'est parce que le besoin de confier mon désarroi et mon inquiétude est tel que je ne peux trouver le sommeil. Vous seule pourrez sûrement me comprendre et m'écouter. Je n'aurais jamais osé vous écrire si je ne me sentais pas si désemparé après cette rencontre avec mon ami Jean. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture