Réflexion sur la notion « d'œuvres de jeunesse »
Dans la prestigieuse collection de la Pléiade, chez Gallimard, existe un volume intitulé Œuvres de jeunesse ,Gustave Flaubert (Claudine Gothot Mersch et Guy Sagnes, 2001). Voici comment les éditeurs justifient le projet et les contenus choisis : « Ce volume réunit les textes écrits par le jeune Flaubert entre 1831 et 1846, soit entre sa dixième et sa vingt-cinquième année. Il y a (au moins) deux manières de le lire.
Vous conduirez une réflexion générale et critique sur la notion d'œuvre de jeunesse, à partir d'un recensement significatif d'exemples, de l'analyse des contenus choisis pour être ainsi désignés, et des motivations du concept par ceux qui l'utilisent. Quel imaginaire et quelle vision de la création, de l'auteur cette notion porte-t-elle ? Pour quels auteurs est-elle utile ? Comment est-elle utilisée ? Quelle vision de l'histoire littéraire se reflète à travers cette notion ? Quelle représentation de la jeunesse et, plus généralement, des trajectoires sociales se formule à travers ce concept ?
[...] Il montre comment le poète se tourne vers le roman entre ses vingt ans et ses trente ans pour faire l'expérience d'une écriture sans entrave, ce qui lui permettra de poser les bases du drame romantique et d'oser renouveler l'écriture de son siècle. Ses premières œuvres, rédigées d'une traite contiennent déjà l'essentiel des Misérables que Victor Hugo mettra dix-sept ans à terminer. Roger Borderie s'enflamme dans sa préface de Bug Jargal : « Hugo déjà : dans ce mépris affiché pour la demi-mesure ». Le goût pour la monstruosité ne quittera plus Hugo. [...]
[...] Les tracas quotidiens de Camus dont la plume se tarit dans les dernières années peuvent ne pas intéresser le lecteur en l'incitant à suivre les maîtresses successives du philosophe. Le fait de séparer les œuvres de jeunesse de celles de la maturité, pour les écrivains qui connaissent une carrière assez longue pour justifier le concept se trouve ainsi très fortement marqué par des présupposés parfois arbitraires sur la vie et sur l'écriture des premières œuvres. Seuls les écrivains qui ont connu une carrière littéraire peuvent se vanter d'entre dans le cénacle des œuvres de jeunesse. [...]
[...] Milan Kundera, dans L'Art du roman, pose la question de l'arbitraire de cette œuvre de maturité. Il paraît difficile de pointer avec certitude le livre qui marque l'aboutissement du génie créateur. C'est d'autant plus évident que s'ajoutent des critères différents selon les genres, les critiques des contemporains, le choix de l'écrivain lui-même. La notion d'œuvre de jeunesse impose une hiérarchie définitive dans les œuvres d'un artiste et ne laisse pas de place pour l'esthétique de la réception. Roland Barthes propose La Mort de l'auteur en 1968 afin de protester contre le biographisme trop poussé. [...]
[...] Il existe de nombreuses raisons qui incitent à publier à part les œuvres de jeunesse. L'intention peut provenir de l'écrivain lui-même, d'un éditeur ou d'un critique désireux de faire resurgir des écrits oubliés. De même il convient de considérer si cette publication se fait avec l'accord de l'auteur lui-même ou bien si la décision appartient à des exégètes bien après le décès de l'auteur. Ainsi Frédéric Deloffre lorsqu'il publie les œuvres de jeunesse de Marivaux offre aux lecteurs des romans qui n'avaient pas été réédités depuis le milieu du XVIIIème Siècle. [...]
[...] La lecture des Fleurs du Mal devient laborieuse quand le poids de Bachelard vient effacer toute la vivacité des éclats baudelairiens. Quand Ernest Renan rédige ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse il cherche à forger son mythe rétrospectivement, et à gommer ses renoncements afin de tracer un parcours rectiligne. Le regard porté par l'homme accompli et l'artiste reconnu, devient une hagiographie lourde. Le risque est grand de détourner les premières œuvres afin de modeler un parcours sans fautes ou de prêter à un écrivain une thèse qui n'était pas la sienne. [...]
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