Aaron Appelfeld, Histoire d'une vie, prix Médicis étranger en France, récit autobiographique, intime de l'écriture
Aaron Appelfeld (1932-2018) avait soixante-sept ans lorsqu'il a publié Histoire d'une vie, récompensée du prix Médicis étranger en France, récit autobiographique où pour la première fois il écrit à la première personne. Ce texte marque un tournant dans son oeuvre, riche de plus de quarante romans et nouveaux écrits en hébreu. Les romans qui suivront, comme Floraison sauvage paru en 2002 ou L'Amour, soudain, paru en 2004, seront plus que jamais hantés par les cauchemars et les séparations, la solitude.
[...] « Mon écriture, écrit-il, fut d'abord un claudiquement pénible », à la fois sur le plan de la langue et sur celui du contenu, car le passé était indicible et il fallait construire une nouvelle vie (chapitre 17). En ce qui concerne la langue, le choix final de l'hébreu a satisfait Appelfeld pour ses qualités de concision, de simplicité et de clarté. Il n'aime pas, note-t-il, étaler ses sentiments. Et il s'est refusé également à la pratique d'une littérature de témoignage, car c'était la vie intérieure, le langage muet des êtres, la contemplation, le silence, dont il voulait rendre compte. Il rapproche volontiers l'écriture et la mélodie. [...]
[...] Dans la forêt déjà, c'était à des créatures sans langage, les animaux, qu'il parlait. Il a rapporté « de là-bas », écrit-il, « la méfiance à l'égard des mots. Une suite fluide de mots éveille ma suspicion. Je préfère le bégaiement Les phrases lisses, fluides, éveillent en moi une sensation d'inadéquation, un ordre qui viendrait combler un vide. » (chapitre 17) Masha Itzhaki le cite : « Car j'ai la bouche pesante et la langue embarrassée. »7 L'expression orale est pénible, vouée au bégaiement et au silence. [...]
[...] Elle offre un contenant à l'auteur souffrant, à l'image du maintien de l'enfant dans un peau à peau avec sa mère ou son substitut.6 Histoire d'une vie, qui est de l'aveu-même de son auteur une autobiographie fragmentaire et sélective dont le sujet peut-être principal est de relater comment le narrateur est devenu écrivain, relève bien de cette fonction de holding ou de contenant. Le projet d'Appelfeld rappelle sur ce point celui de Proust dans Le Temps retrouvé, les deux auteurs expliquant comment ils sont devenus écrivains, comment aussi la décision - ou plutôt la révélation - de l'écriture était vitale pour chacun d'eux. Les livres qu'Appelfeld écrit vont devenir pour lui sa nouvelle maison, l'écriture en hébreu son espace de vie. [...]
[...] « La littérature, si elle est littérature de vérité, est la musique religieuse que nous avons perdue. » (chapitre 18). Au chapitre 19 il écrit: « J'ai été un enfant pendant la guerre. Cet enfant a mûri, et tout ce qui lui est arrivé ou s'est produit en lui a eu un prolongement dans ses années d'adulte: la perte de la maison, la perte de la langue, la méfiance, la peur, la difficulté de parler, l'étrangeté. C'est à partir de ces sensations que je brode la légende.» Les livres ont été en réalité, bien plus qu'Israël, son espace de vie. [...]
[...] Recueilli par l'Armée Rouge pendant neuf mois, il traverse l'Europe avec d'autres orphelins, parvient en Italie et, protégé par une association juive, s'embarque clandestinement en 1946 pour la Palestine. Il s'y installera définitivement. Histoire d'une vie n'est en rien un récit chronologique de ce parcours de vie. La Shoah n'y est pas non plus décrite, pas plus que dans le reste de son oeuvre. « J'ai essayé plusieurs fois de raconter tout cela sur un ton documentaire, mais chaque tentative se soldait par un échec. Tout simplement parce que ce que j'ai vécu n'est pas? croyable. [...]
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