« Les rois de la terre et Dieu lui-même récompensent la fidélité. » Cette citation ouvre le roman et dénonce l'infidélité, sous entendue au sein du mariage, sujet de l'intrigue sur le thème de l'amour impossible. La définition première de la fidélité est « l'attachement à ses devoirs, à ses affections, la régularité à remplir ses engagements ». L'infidélité dans le mariage est une des expressions usuelles du libertinage, revendiquée par les libertins comme la plus élémentaire des libertés.
Dans « l'Improvisateur français » (Tome XII, An XIII-1805), l'illustration des termes « Libertinage et Libertin » offre une palette de citations éloquentes d'auteurs, comme Pierre-Claude Nivelle de La Chaussée (1692 – 1754) qui sait ce dont il parle car c'est un assidu des cercles libertins de son époque, et qui délivre une maxime éclairant de manière singulière le roman de Barbey d'Aurevilly.
« L'hymen est ordinairement / Le tombeau du libertinage, / À moins qu'on ait le diable au corps. » Dès les premiers mots de son roman, l'auteur d'« Une vieille maîtresse » annonce la couleur du récit, placé sous le signe du serment amoureux entre époux, mais en l'occurrence hors mariage puisque sa plus grande fidélité, Ryno de Marigny l'offre à sa maîtresse.
Le roman ne le dévoilera pas, mais on devine que cet attachement dure jusqu'à la mort, voire pour l'éternité. À la lecture d'« Une vieille maîtresse », aucun lien ne peut paraître plus fort, plus ensorcelant, plus constant et donc plus fidèle que celui qui unit Ryno à sa vieille maitresse. Un lien si indestructible qu'il affleure le fantastique, ce roman marquera d'ailleurs un tournant dans l'œuvre de Barbey d'Aurevilly, après ses premiers romans réalistes.
Tout est hors du commun dans l'ouvrage, et remarquable à bien des égards, autant que son auteur qui s'applique tout au long de son existence à choquer ses contemporains, à brouiller les pistes, à vivre hors de son temps, à écrire l'extraordinaire et à dépeindre des passions extravagantes.
Ses personnages colorés possèdent des personnalités complexes dont il puise les modèles dans son psychisme tourmenté ou dans son entourage, deux creusets de recherches inépuisables.
Le roman est atypique comme l'est Vellini, héroïne gagnante, incarnant la constance, l'opiniâtreté, la force, la violence, la croyance, la sensualité et même la magie, autant de points communs avec son créateur.
Pour éclairer la recherche, on identifie les sources de certains personnages comme la Marquise de Flers qui a l'âge de la grand-mère de Barbey et est à l'évidence le modèle du personnage. D'autre part, Vellini que Barbey côtoie, et dont il ne change même pas le nom est née en 1799, ce qui place le déroulement de son roman en 1835 (Vellini à 36 ans), et Ryno de Marigny a environ l'âge de Barbey quand il écrit le roman, ce qui induit inévitablement une identification de l'auteur à son héros.
Le Vicomte de Prosny est un libertin sympathique, rôdé au libertinage du XVIIIe siècle, lié à la Comtesse d'Artelles par une longue et fidèle amitié amoureuse dont les commentaires et l'expérience sont essentiels pour démontrer si le comportement du héros relève du libertinage.
Le dénouement intéresse aussi la recherche à plus d'un titre. Pour tous, Ryno est un libertin, toutefois la complexité de la situation et les multiples facettes de sa nature qui ravirait Freud, ne permettent pas d'assimiler ses actes à du simple libertinage, mais plutôt à une pathologie passionnelle presque bestiale.
On entrevoit l'intervention de la « Main du Diable », ce qui n'a rien d'étonnant de la part d'un écrivain qui explore la voie du fantastique et du spirituel. Huysmann dans la revue « À rebours » souligne l'alliance du christianisme et de la cruauté en évoquant Barbey et le sadisme, « ce bâtard du catholicisme », et Barbey définit la littérature sadienne en ces termes « le mot diabolique ou divin appliqué à l'intensité des jouissances exprime la même chose, c'est-à-dire des sensations qui vont au surnaturel ».
[...] On note souvent dans la littérature du genre des travestissements qui permettent de subvertir les rôles traditionnels, mais rien dans le couple formé par Vellini et Ryno ne s'apparente à ce jeu de dissimulation. Ils sont l'un comme l'autre sincères, Ryno lutte, il veut imposer son nouvel amour à Vellini comme à lui-même, mais n'y parvient pas. Vellini, elle, déborde de son rôle de femme, affiche ses exigences, ses envies, ses désirs, son droit de préemption sur son amant de toujours, mais ces deux personnages sont totalement authentiques dans leur intimité, contrairement à leur comportement en société où ils jouent le plus souvent un rôle. [...]
[...] Le moteur de Ryno de Marigny, c'est son psychisme, il n'est représentatif d'aucune époque, il relève d'un comportement amoureux commun à tous les êtres humains quel que soit le siècle dans lequel ils vivent : la passion. Barbey et les femmes Catherine Boschian-Campaner, de l'Université de Metz, met en parallèle Une Vieille Maitresse et le Jardin des Supplices dans lesquels les deux auteurs mettent en scène des femmes fatales suceuses d'âme qui possèdent le pouvoir de prolonger la volupté. Ryno nous confie que son amour pour Vellini était surtout physique et sauvage mais que la possession le vivifiait et accroissait leur amour plutôt que de l'anéantir. [...]
[...] Il s'affiche avec sa maîtresse, ce qui fait dire au vieux Prosny que Marigny n'aime pas l'incognito et page 547 Où croyez vous qu'est à cette heure M. de Marigny, ce génie de l'amour conjugal éclos, par miracle ! dans la peau sulfurique d'un libertin ? . le sexe est assumé sans ambigüité par Ryno comme par Barbey qui ne laissent aucun doute sur l'ardeur de leur liaison sulfureuse. S'il faut chercher un penchant libertin dans le roman, alors, Vellini serait la plus proche du qualificatif par le seul fait qu'elle poursuit le but d'obtenir sa proie à tout prix. [...]
[...] La réception de son livre amuse l'écrivain qui adore semer le doute, mais son meilleur ami Trébutien et l'Ange Blanc, son grand amour, sont choqués par une peinture du pêché si attirante et si séductrice. D'ailleurs, à ce sujet, Marguerite Rousselot poursuit en trouvant plus grave et plus profond les réflexions polémiques de Barbey, sous couvert des personnages, sur les fondements même de la religion et sur l'importance de la théologie dans la vie quotidienne. Les sacrements comme celui du mariage et les conceptions d'un Dieu bon, tout puissant et providentiel sont totalement battus en brèche. [...]
[...] Il n'y avait ni pipes, ni armes contre les lambris, ni table à écrire, ni bibliothèque. Le seul meuble qui fut remarquable au milieu de cette nudité simple et ferme, c'était une espèce de lit de repos en satin vert, soutenu par deux images d'hippogriffes, aux ailes reployées, et que l'artiste avait sculpté avec la plus ivre fantaisie. Un tel appartement avec ses couleurs sévères n'était pas trop éclairé par le feu de la cheminée et deux lampes, dont les globes de cristal colorié répandaient un jour à reflets changeants et incertains Tous les marqueurs du libertinage du XVIIIème siècle sont absents du lieu, on remarque bien au contraire une sobriété masculine, et non les signes frivolité qu'on s'attend à trouver chez une péripatéticienne. [...]
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