Toutes les tragédies que l'on peut imaginer reviennent à une seule et unique tragédie : l'écoulement du temps.
Dans cette citation, issue de ses Leçons philosophiques, Simone Weil rappelle que la tragédie a toujours été indissolublement liée au problème du temps s'écoulant inexorablement. De Sophocle à Ionesco, en passant par Corneille, ce genre littéraire a connu bon nombre de transformations, mais est toujours resté lié à la problématique temporelle. De nos jours, les tragédies se font rares, mais le tragique et les interrogations qu'ils suscite ont –ils pour autant disparu ?
Michel Butor, romancier du vingtième siècle, s'est lui aussi intéressé à la question du temps puisqu'elle lui a inspiré un de ses romans : L'Emploi du temps. A priori, rien ne semble rattacher cet auteur au genre tragique tant dans la forme, romanesque, que dans le fond :
Jacques Revel, français isolé dans une hostile et inconnue ville d'Angleterre, Bleston, dispose d'une année pour faire un stage dans les bureau d'une entreprise nommée « Matthews and Sons ». L'Emploi du temps est le journal écrit par Revel durant cette année, journal dans lequel il consigne ses rencontres, ses déboires, ses états d'âmes,.... Les héros de la tragédie antique et leur terrible destinée semblent bien éloignés de cette vie banale et misérable, pourtant, par les interprétations que Revel fait de son séjour, la tragédie va faire irruption dans cet univers, petit à petit, morceau par morceau. De quelle nature est le lien qui unit la vie de cet obscur employé de bureau et les vies hors du commun des héros qu'il évoque ? Ces comparaisons avec l'univers mythologique sont-elles juste le fruit de l'imagination débridée d'un être désespéré ou bien ce personnage en apparence si anodin vit-il véritablement une aventure tragique, cachée sous l'apparente simplicité du réel ?
[...] cit., article nœud [9]La porte et Chamfort, op. cit., article Catastrophe http://www.cesar.org.uk/cesar2/books/laporte/view.php?index=40. Butor, Michel, op. cit., p Aristote, La Poétique, Le livre de Poche, Paris chapitre 11, p [12]La Porte et Chamfort, op. cit.,, article Dénouement http://www.cesar.org.uk/cesar2/books/laporte/view.php?index=70. Butor, Michel, op. cit., p.151. [...]
[...] Cette règle oblige l'action à aller à l'essentiel (unité d'action) et les lieux de représentation à ne pas être trop éloignés les uns des autres, à cause du temps nécessaire pour les atteindre (unité de lieu). Nous allons à présent voir en quoi L'Emploi du temps réutilise ces notions, sans toutefois aborder à nouveau le problème de l'unité d'action dont nous avons déjà parlé précédemment. L'unité de lieu L'unité de lieu résumée chez Boileau par le complément circonstanciel en un lieu est un peu floue. [...]
[...] Cette règle, qui est avant tout une convention dans la tragédie classique, est justifiée dans L'Emploi du temps lors de l'épisode survenant en octobre, dans le premier chapitre, où Revel tente de s'évader de la ville. De cette expérience infructueuse, il tire cette conclusion : [ ] car dés ce jour, j'avais compris que Bleston, ce n'est pas une cité bien limitée par un ceinture de fortifications ou d'avenues, se détachant ferme sur le fond des champs, mais que, telle une lampe dans la brume, c'est le centre d'un halo dont les franges diffuses se marient à celles d'autres villes.[20] Il comprend qu'il est impossible d'en sortir, car c'est une atmosphère qu'il tente de fuir et il ne peut s'en échapper. [...]
[...] Lorsque Revel s'imagine enquêteur, Bleston devient une criminelle dont il doit découvrir le forfait et punir la faute. Lorsqu'il voit sa quête sous un angle mythologique, la ville est à la fois labyrinthe, Minotaure, Circé ou divinité. Enfin, lorsque Revel analyse les faits sous l'angle religieux, Bleston devient la ville du meurtre, celle de Caïn, la Belli civitas Une célèbre maxime de Sun Tzu, issue de l'Art de la guerre, dit ceci : Je dis que si tu connais ton ennemi et si tu te connais, tu n'auras pas à craindre le résultat de cent batailles. [...]
[...] En assimilant sa lutte contre Bleston à une enquête à mener, Revel se plonge à corps perdu dans la recherche d'indices se rapportant à un crime qui n'a pas encore été commis et qui ne le sera jamais. Ainsi, dans un premier temps, Revel tente de noter tout ce qui lui paraît important ce qui est complètement absurde car, le narrateur l'apprendra à ses dépens, des faits semblant anodins peuvent, par les conséquences qu'ils entraînent, devenir d'une grande importance. Les discussions entre Lucien, Rose, James et Ann, auxquelles le narrateur accorde peu d'importance, le prouveront. Par la suite, lorsque l' accident survient, le comportement de Revel n'est pas plus lucide. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture