Discuter de l'adaptation en tant que processus faisant pont entre fa littérature et le cinéma émane d'une volonté d'aborder la littérature sous un angle qui diffère de celui envisagé lors de nos précédentes années d'études universitaires, et d'un désir d'approcher de façon concrète les difficultés rencontrées par un cinéaste-adaptateur. Le "cinéma impur", selon l'expression d'André Bazin, est un formidable moyen d'allier le pouvoir maximum des images et le pouvoir maximum des mots.
La littérature et le cinéma ont très vite et très tôt entretenu d'étroites relations. Dès 1905-1908, Don Quichotte, Faust, divers épisodes de l'Ancien Testament firent l'objet d'adaptations. Et, paradoxalement, comme le rappelle Jean Marcel , la maturité n'a pas conduit le cinéma à se libérer du parrainage littéraire ; bien au contraire. En 1992, toujours selon le même auteur, 85 % de la production filmique puisait dans les oeuvres littéraires une large part de son inspiration.
L'adaptation est donc un processus majeur au cinéma. Par ce fait, les deux arts procurent une impression de compatibilité et de complémentarité. En réalité, l'adaptation est l'enjeu de l'éternelle rivalité entre le cinéma et la littérature, d'où l'existence de traités, de débats et de conférences dans l'intention de comprendre les raisons qui poussent un cinéaste à puiser des thèmes, des contenus narratifs, parfois même de simples inspirations dans la littérature. Et, très souvent, est assuré, aux termes de ces discussions, le triomphe de l'écrit.
Or, la question des interactions entre deux systèmes d'expression et de communication que constituent le langage des mots et celui des images, dans une société qui se reconnaît elle-même comme une civilisation de l'image, implique pour être posée convenablement que l'on refuse toute idée de hiérarchie entre les objets culturels. "C'est refuser, par là même, de situer la littérature dans une position privilégiée par rapport au fait iconique.".
Afin d'illustrer le sujet de notre mémoire nous dûmes effectuer le choix (difficile) d'un film et d'un texte. En dépit de l'immensité du vivier, trois oeuvres attirèrent notre attention : La symphonie pastorale de Jean Delannoy d'après le roman d'André Gide, Partie de campagne de Jean Renoir d'après "Une partie de campagne" de Maupassant, et Le Plaisir de Max Ophuls d'après trois nouvelles de Maupassant ; "Le Masque", "La maison Tellier", "Le Modèle". La fin décevante du court roman d'André Gide et une étude déjà abondante de l'oeuvre inachevée de Renoir nous firent abandonner ces deux projets. Le Plaisir resta.
Ce choix repose sur trois critères :
* Maupassant est l'auteur chéri des réalisateurs. Pour preuves, Jean-Marie Dizol donne ces quelques chiffres : sur les six romans, cinq ont été adaptés pour un total de 12 titres. Sur 310 nouvelles, 53 ont été adaptées pour un total de 72 titres. Soit 84 adaptations, 30 films pour la télévision et 54 pour le cinéma. 58 films furent réalisés en France et 26 à l'étranger. De tels chiffres ne pouvaient qu'accroître notre intérêt quant aux rapports entre récriture de Maupassant et les techniques cinématographiques.
* Le Plaisir est un film peu connu. Nous avions donc par l'intermédiaire de ce mémoire, l'opportunité d'évoquer un film que le magazine Lire fait figurer dans une liste de quinze excellentes adaptations, et de réhabiliter un réalisateur : Max Ophuls, de son vrai nom Max Oppenheimer.
Une légende vivace qui s'appuie sur une méconnaissance profonde de sa vie et de sa carrière le dit Viennois. En réalité, Max Ophuls est né à Sarrebruck en 1902, sur les bords du Rhin (dans la Sarre). Si l'on tient à tout prix à lui épingler une étiquette « territoriale » c'est Rhénan qu'il faut dire (ou, à la rigueur, Bavarois). Notons surtout que Sarrebruck, sa ville natale, est à moins de trois kilomètres de la frontière française. C'est dire à quel point Ophuls se trouve d'emblée à cheval sur les deux pays et les deux langues : il opta d'ailleurs, dès que l'occasion se présenta, pour la nationalité française, et fut naturalisé en 1938.
C'est le moment de régler, une fois pour toutes, la question du tréma. En allemand, le umlaut est utilisé de manière courante pour distinguer le son [y] ("u") du son [uj ("ou"). De par ses attaches germaniques, il semblerait logique que le "u" d'Ophuls fût surmonté d'un tréma. C'est oublier le fait capital que notre cinéaste ne s'est jamais considéré comme Allemand à part entière. Dès lors le tréma devenait pour lui et pour sa famille totalement superflu et saugrenu. De surcroît, Ophuls étant un pseudonyme, ne tombe pas sous le coup des règles grammaticales, ce qui donne doublement tort aux adeptes du tréma.
* Le récit bref offre au lecteur une perception panoramique. D'où cette volonté de travailler à partir de trois nouvelles de Maupassant. La nouvelle, à la différence du roman, "dispose de matériaux en nombre suffisamment réduit pour que le lecteur ait illusion de les concevoir dans une appréhension unique" et "elle rend une vision pour ainsi dire synoptique de son intégralité". De plus, sa fiction "est destinée à se substituer à un segment de durée réelle, à coïncider étroitement avec un moment vécu". Elle est donc rédigée, selon une expression d'André Gide, pour "être lue d'un coup, en une fois". Cette contrainte imposée à l'origine pour la parution en revue rappelle celle de la projection en salle des films de fiction dont la durée, il y a encore peu d'années, n'excédait pas une heure et demie. (...)
[...] Il se mit à rire, s'avança par la fenêtre, l'ouvrit, et, saluant comme une personne qui fait des cérémonies pour ne point passer la première : «Voici la route. Après vous ! (p.110). L'objectivité quant aux personnages et aux mobiles qui les font agir dans des situations déterminées rappelle la structure même de ce qui est le scénario d'un film. C - Le scénariste 1. La netteté Un autre facteur déterminant ayant inspiré grand nombre de réalisateurs réside dans la netteté de l'écriture de Maupassant1, une écriture sans fioritures qui fait ressembler ses textes à des scénarios de films. [...]
[...] Cette oralisation de Maupassant, transformé en conteur, véhicule une opération complexe. En nouant les fils du film, il s'agit d'abord de tisser une leçon du plaisir. Ainsi, le mot leçon absent du corpus textuel, fait son entrée filmique dans une réplique attribuée au médecin du Masque : Je viens de prendre une précieuse leçon Le conteur s'affirme comme détenteur d'un savoir qu'il ne s'agit pas tant de renvoyer à Maupassant, malgré l'alibi du générique, que de communiquer à un destinataire avec lequel la voix s'entretient en l'interpellant pour lui faire le don du conte. [...]
[...] ] tirait de toutes ses forces sur la jupe de Rosa en bredouillant : Salope, tu ne veux pas ? (P-41). CHAPITRE II LA MAISON TELLIER : DE LA NOUVELLE AU SKETCH A - Une histoire d'amour chez Ophuls 1. La purification Maupassant ne se fait pas faute de répondre à un goût très vif de l'époque pour la grivoiserie : le 19e siècle est en effet marqué par l'obsession de la sexualité d'autant plus forte qu'il est interdit d'en parler. [...]
[...] L'escalier ne serait rien d'ailleurs sans les barreaux qui le délimitent et qui enserrent les personnages dans leurs insidieux entrelacs[84] Qu'il soit dit à travers un réseau lexical ou par la présence d'accessoires, le monde, chez Ophuls comme chez Maupassant, est une prison. Dans le troisième sketch du Plaisir Modèle»), le peintre et Joséphine ont le choix entre la séquestration dans un studio dont on ne peut s'échapper qu'en abattant les cloisons et l'insécurité d'un atelier surélevé avec loggia, dont l'unique fenêtre ouvre sur le vide et la mort. Mais revenons sur le premier choix par l'analyse d'un plan correspondant à la deuxième dispute des amants. [...]
[...] Journal, Paris : Grasset p.536-537. Christian VIVANI in Positif, op. cit., p.32. Etude thématique et structurale de l'œuvre de Maupassant ; le piège, Paris : Nizet Claude BEYLIE, Max Ophuls, op. Cit., p.110. On lui reprocha de ne pas montrer l'intérieur de la maison close. Ophuis répondait (avec humour) : Oh ! Pardon, mais c'est une maison close ! Voir G.ANNENKOV, op. cit., p.52. ' Les cahiers du cinéma n"55 in Les Inrockuptibles, mai 1992 François TRUFFAUT, Les films de ma vie, Flammarion p.255. [...]
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