Jules Verne, auteur de l'œuvre-monde les Voyages extraordinaires, poulain de l'éditeur Hetzel qui fit du jeune écrivain des 1860 le premier grand auteur de la littérature de jeunesse sous l'étiquette « éducation et récréation ». Il est ainsi difficile de croire qu'un tel écrivain, peu étudié de nos jours dans les écoles et les universités, mais qui régala jadis le jeune lectorat du XIXe siècle, eut lui même pour modèles littéraires les maîtres du récit fantastique : Allan Edgar Poe et Ernst Théodor Amadeus Hoffmann.
Deux auteurs majeurs de littérature étrangère qui eurent une influence considérable, et longtemps ignorée, dans les récits de Verne. Une œuvre généralement peu prise au sérieux, et qui, on le rappellera, a souvent été affiliée au roman d'apprentissage, au roman d'anticipation, voire au roman de science-fiction.
Pourtant, certains éminents spécialistes du romancier ont depuis quelques années rendu ses titres de noblesse à cet auteur, que l'on a davantage considéré comme un vulgarisateur scientifique, plutôt que comme une littérateur en lui-même, en affiliant quelques-uns de ses volumes à la littérature fantastique. Un genre étroitement lié à la découverte de Hoffmann en France ainsi qu'à l'exhaustive entreprise de traduction des contes de ce dernier par le journaliste Loève-Veimars dès 1836.
Si le présence lointaine du conteur allemand s'est fait clairement sentir au sein de plusieurs textes de l'écrivain français, depuis ses écrits de « jeunesse » ( Maitre Zacharius, Fritt-Flacc, etc.) jusqu'à la publication posthume de l'un de ses derniers romans, Le secret de Wilhelm Storitz2, on peut toutefois s'interroger sur le rôle d'un livret de Jules Barbier, co-écrit avec Michel Carré, qui a donné lieu à un drame fantastique crée en 1851, ainsi qu'a un célèbre opéra de Jacques Offenbach en 1893, Les contes d'Hoffmann, dans l'inspiration vernienne.
En effet, il serait ici intéressant de voir dans cette nouvelle étude comment le souvenir des œuvres de E.T.A Hoffmann, filtré, pour ainsi dire, par la création de ces deux dramaturges en vue d'une première représentation au théâtre de l'Odéon durant l'année 1851, apparaît dans ces deux romans « opératiques » que sont Le Château des Carpathes, paru en 1893, et Le secret de Wilhelm Storitz, paru dans sa version originale et non plus apocryphe en 1985.
Deux romans où figurent des emprunts significatifs au livret de Barbier et de Carré, et non plus seulement à l'œuvre de E.T.A Hoffmann, dans la mesure où ces deux auteurs ont créé au sein de leur livret quelques personnages distincts de l'œuvre du conteur allemand. Le Château des Carpathes, reflet des lectures d'Hoffmann faites par Jules Verne et reflet de son amour premier pour le théâtre, une œuvre qui sera à son tour mise en scène par un compositeur français, n'est-elle pas le prisme même de toutes les inspirations diverses qui ont imprégné l'imaginaire vernien ?
Nous nous attarderons dans ces quelques pages sur l'esthétique théâtrale largement apparente dans les deux écrits de Verne, née d'une fascination commune ( que ce soit chez celui-ci ou chez Jules Barbier) pour l'œuvre fantastique de E.T.A Hoffmann. Aussi, nous étudierons de façon spécifique comment ce jeu d' « influences, confluences, effluences », selon l'expression de Jean-Pierre Picot, autour des romans de Jules Verne, a donné lieu à la création d'un opéra moderne en 1993, Le Château des Carpathes, sous la direction de Philippe Hersant.
L'objectif de notre travail étant de mieux cerner la filiation intertextuelle existante entre l'œuvre du conteur allemand et la mise en scène contemporaine du roman de Jules Verne, nous nous attarderons dans un premier temps sur la réception des contes de E.T.A Hoffmann en France, en montrant comment ce nouveau phénomène littéraire en cette première partie du XIXe siècle a débouché sur la création d'un personnage non seulement dans un roman d'Alexandre Dumas, La femme au collier de velours, mais aussi dans le livret de la pièce de théâtre. Un drame en cinq actes inspiré des récits de Hoffmann et qui met ce dernier en scène en tant que protagoniste.
À partir d'ici, nous verrons comment les deux récits fantastiques de Verne, deux romans qui, par leur schéma dramatique respectif, appellent à leur façon une adaptation théâtrale ainsi que le travail d'un compositeur, sont susceptibles par leurs emprunts faits au fameux livret, de constituer une suite, c'est-à-dire deux actes supplémentaires aux Contes d'Hoffmann. Si, toutefois, nous osons les interpréter tels quels.
Enfin, en terme d' « effluences », nous verrons dans quelle mesure Le Château des Carpathes, le roman qui a subi le plus l'influence de la pièce de Barbier et de Carré, avec des personnages tels que la cantatrice Stilla ou le mélomane baron de Gortz, fut lui-même l'objet de l'écriture d'un livret d'opéra et d'une transposition scénique, comme l'aura été l'œuvre de Hoffmann un siècle auparavant.
[...] Ce détail n'est point négligeable, puisqu'il rappèle au lecteur les discours sociaux[100] inhérents au contexte historique : c'est à dire l'annexion récente de l'Alsace-Lorraine par le traité de Francfort en Juin 1871. Là encore, ce point est passé sous silence dans la version de 1910 : Michel Verne ôte tous les adjectifs péjoratifs entourant la nationalité de Storitz et minimise ainsi la haine qu'éprouve ce dernier pour le français Marc Vidal, en insistant sur sa passion pour Myra Roderich. La transposition du récit au XVIIIe siècle ne se réduit pas seulement au texte lui même, les illustrations de George Roux[101] qui l'accompagnent participent également à la métamorphose du manuscrit d'origine. [...]
[...] Cet achat, bien évidemment, n'a rien de compulsif, contrairement au cas précédent : Frik comprend très vite que ce n'est qu'au prix de l'objet qu'il parviendra à convaincre les villageois de Werst de l'hypothétique présence naturelle ou surnaturelle dans le vieux château. Quoi qu'il en soit, après la transaction, le colporteur vernien disparaît comme il est venu, sans même passer par les rues du village (ce qui aurait été logique pour un vendeur itinérant) : Puis, quand il eut rajusté son étalage à sa ceinture et sur ses épaules, il prit la direction de Karlsburg, en redescendant la rive droite de la Sil. [...]
[...] Jules Verne, Le secret de Wilhelm Storitz, préface d'Olivier Dumas, Gallimard, coll. Folio p.13 Olivier Dumas, Volker Dehs, Piero Gondolo della Riva Michel Verne démontre clairement à Hetzel sa position d'héritier à l'égard des œuvres restantes : Je vous confirmerai que mon père laisse une situation honorable, mais très modeste. Chargé, outre les miens propres, des intérêts de ma mère, de ma femme, et de mes enfants, j'ai le devoir d'autant plus étroit de chercher à améliorer cette situation dans la mesure de mon pouvoir et de m'efforcer de tirer le meilleur parti possible de la fortune laissée par mon père, et notamment de la portion de cette fortune représentée par son œuvre littéraire. [...]
[...] Cet apprivoisement de l'invisibilité n'apparaît pas dans la version apocryphe de 1910. Sur les directives de Louis-Jules Hetzel, Michel Verne fait réapparaître Myra en ajoutant à la narration l'accouchement de celle-ci afin de clore le roman par un happy end Ainsi, de la même manière que Storitz redevient visible en succombant au coup de sabre d'Haralan, la jeune mariée retrouve son apparence en donnant la vie à un petit garçon[136]. A travers la version d'origine, sur laquelle se base notre présente étude, il semble qu'en maintenant l'invisibilité de son héroïne, Verne nous contraint selon l'expression de M. [...]
[...] Ce triptyque entièrement construit autour de la figure de la cantatrice exprime une confusion entre ce qui est de l'ordre de l'illusion, de la fiction et la réalité de sa représentation ; la Stilla comme l'opéra Orlando Furioso a aussi son double : la comédienne qui l'interprète dans la composition d'Hersant et qui est chargée d'être doublement actrice et doublement héroïne. Pour Patrice Soulier, la mise en scène d'André Wilms à l'opéra de Montpellier qu'il décrit dans son article, joue pleinement sur cette ambiguïté à restituer sur les planches: La Stilla, hors de scène, est une femme comme les autres. Mais lorsque le rideau se lève, la Stilla devient double. Elle se retrouve devant un miroir. A la fois femme réelle et héroïne illusoire, Stilla est fragmentée. [...]
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