Qui ne connaît pas ces petits livres jaunes qui portent la marque d'un masque de comédie noir percé d'une plume ? La collection du Masque, créée par Albert Pigasse il y a près de quatre-vingt ans, fait en effet figure d'ancêtre au sein de la production éditoriale française. A l'heure où la mode était aux écrivains prestigieux comme André Gide, Mauriac ou Proust... Cette collection, fut la première à avoir introduit en France le roman policier anglo-saxon ou ce qu'Albert Pigasse s'évertuait à nommer « le roman d'aventures », longtemps considéré comme un sous-genre littéraire.
Mais comment Le Masque a-t-il pu survivre si longtemps alors que le succès de ses productions éditoriales est en baisse ? Car si la lecture des romans policiers est en constante expansion, depuis une vingtaine d'années, selon les enquêtes du Syndicat National de l'Edition, la lecture des romans d'énigme, quant à elle, est en nette diminution. Le Masque, spécialisé dans ces romans de « mystère à l'anglaise » ne répond plus à la demande des lecteurs. Alors comment expliquer que, depuis les années 80, Le Masque figure parmi les premières places sur le marché éditorial du policier puisque la collection posséderait, selon Annie Collovald et Erick Neveu, auteurs de Lire le noir : enquête sur les lecteurs de romans policiers, pas moins de 35 % du marché éditorial du policier ? Pour tenter de répondre à cette question, que de nombreux professionnels et lecteurs se posent aussi, il faut étudier l'évolution de la collection, de sa politique éditoriale et de son catalogue.
C'est précisément cette évolution que je propose d'étudier et d'analyser dans ce mémoire. La politique éditoriale et le catalogue constituent deux éléments essentiels au sein d'une maison d'édition. La politique, ou ligne éditoriale, d'un éditeur détermine les choix d'auteurs et de textes publiés par la maison d'édition. La ligne éditoriale, définie par l'éditeur, recouvre plusieurs aspects. D'une part, elle est personnelle et subjective. L'éditeur choisit de publier les textes qui lui plaisent, qui entrent dans son ou ses domaine(s) de compétences et qui, selon lui, pourraient plaire aux lecteurs. La politique éditoriale doit donc correspondre au marché éditorial. D'autre part, définir une politique éditoriale n'est pas un acte anodin mais complexe et engagé car il s'agit de se faire le porte-voix d'un certain type de littérature. La politique éditoriale d'une maison d'édition se perçoit également à travers son catalogue dont les textes publiés constituent peu à peu le projet éditorial et l'identité de l'éditeur.
Malgré l'ancienneté et la notoriété de la collection du Masque, peu d'ouvrages ont été écrits sur le sujet. En outre, les quelques monographies publiées concernent davantage les débuts de la collection sous la direction d'Albert Pigasse que son évolution. Ceci peut certainement expliquer que pour de nombreux lecteurs, Le Masque ne soit restée que la collection de petits livres jaunes à l'allure désuète. En tant que grande lectrice de romans policiers et de polar, je me suis intéressée au caractère singulier de cette maison d'édition si célèbre mais finalement si méconnue. Dans ce mémoire, consacré en partie à l'étude de l'évolution de la politique éditoriale du Masque des années 1980 à nos jours, je vais tenter de décrire et d'analyser les tenants et les aboutissants, les forces et les faiblesses de la nouvelle politique éditoriale du Masque. Je m'interrogerai également sur le succès de ces éditions. A travers mes diverses enquêtes menées auprès de professionnels, de proches ou d'internautes, j'ai pu constater que de nombreux lecteurs peuvent identifier les Editions du Masque et parfois même sans avoir jamais lu de romans policiers. Ces personnes là, en effet, méconnaissent l'histoire de la maison d'édition et le contenu de son catalogue mais savent, sans aucun doute, qu'il s'agit d'ouvrages revêtus d'une couverture jaune uniforme qui porte la marque d'un masque noir.
Mais d'où vient cette couverture jaune ? Pourquoi en avoir fait l'emblème de la collection? Comment expliquer que la plupart des gens l'appréhendent et peuvent même la décrire ? Pourquoi préserver une couverture éditoriale, dépourvue de la moindre illustration, dans une société où le rapport à l'image et à la communication est primordial ? Sans compter que les nombreuses collections concurrentes du Masque comme « Fleuve Noir », « Rivages Noir », « Série Noire », « Folio Policier », « Grands Détectives » et autres n'hésitent pas à exploiter, parfois outrageusement, la puissance communicatrice de l'image. Alors, comment Le Masque demeure t-il un des leaders au sein de cette production éditoriale de romans policiers si prolifique ? C'est un mystère pour beaucoup d'entre nous. Même les professionnels s'étonnent : « Comment ? Le Masque existe encore ! » s'exclamait déjà, non sans humour, Michel Averlant, sollicité en 1983 pour prendre la direction du Masque.
Dans cette étude, j'ai choisi de me consacrer exclusivement aux aspects éditoriaux de l'évolution de la maison d'édition. Ainsi, je laisserai de côté la question de la politique commerciale mise en œuvre par Le Masque pour promouvoir leurs auteurs et leurs ouvrages qui me semble ne pas trouver sa juste place au sein de mon argumentation.
Pour réaliser cette étude, je me suis appuyée, en partie, sur deux monographies. D'une part, celle de Anne Martinetti, Le Masque, histoire d'une collection, publiée aux Editions Encrage dans la collection « Références » en 1997. Cet ouvrage se donne pour mission de décrire les succès mais aussi les difficultés que les Editions du Masque ont rencontrées des années 1930 aux années 1990. Je considère les observations et les analyses de Anne Martinetti, également auteur d'un mémoire sur l'édition policière, avec néanmoins beaucoup de réserve. En effet, l'auteur, qui a travaillé pendant plus de cinq ans en étroite collaboration avec Le Masque ne m'a pas toujours paru d'une extrême objectivité dans ses analyses. Anne Martinetti ne souhaite pas révéler ni décrier une politique éditoriale qui est, à de nombreux égards, économique, surtout depuis que Le Masque est devenu une filiale du groupe Hachette Livre, mais de la valoriser en insistant sur l'ascension et la pérennité de cette collection. En revanche, cette monographie constitue une source précieuse pour déterminer les enjeux de la nouvelle politique éditoriale amorcée au début des années 80 par les successeurs d'Albert Pigasse.
D'autre part, la seconde monographie, Le Vrai visage du Masque – Tome 2, publié avec le concours du Centre National des Lettres aux Editions Futuropolis en 1992. Elle est établie par Jacques Baudou, critique littéraire et auteur de nouvelles policières et par Jean-Jacques Schleret, critique spécialiste du polar. Ce dictionnaire critique, présente l'inventaire de six cent quatre vingt onze auteurs et de leurs œuvres publiées au Masque, ainsi qu'une filmographie complète. Cet inventaire, organisé de façon pertinente, permet de dégager un des aspects principaux de la politique éditoriale du Masque des années 1980 : ce sont les grands auteurs tels que Agatha Christie, Charles Exbrayat ou André-Stanislas Steeman qui permettent à la collection d'accueillir de nouveaux auteurs mais surtout de survivre. Enfin, même si la politique éditoriale du Masque a beaucoup évolué depuis les années 1990, cette monographie constitue une source fiable pour faire l'analyse de la politique éditoriale du Masque qui, au fond, est toujours restée plus ou moins fidèle à son créateur, malgré une évolution remarquable mais qui reste néanmoins prudente.
D'autres ouvrages annexes, comme des dictionnaires spécialisés que l'on retrouve dans la bibliographie, et des articles de presse ont également constitués des sources sûres pour réaliser ce mémoire. J'ai mené mes principales recherches à la Bibliothèque des Littératures Policières (BILIPO) située au 48 – 50 avenue Cardinal Lemoine dans le cinquième arrondissement de Paris, qui possède de nombreux ouvrages édités au Masque, des dictionnaires de littérature policière ainsi qu'un dossier de presse bien fourni.
J'ai également demandé l'accès aux fonds d'archives et d'études concernant Le Masque à l'IMEC qui se trouve à l'Abbaye d'Ardenne à Caen. Après avoir obtenu l'accord indispensable des Editions Hachette, Monsieur André Derval, responsable des fonds éditeur de l'IMEC m'a finalement annoncé que les archives du Masque ne seraient accessibles au public qu'en avril 2007. Consulter ce fonds, constitué d'archives économiques juridiques, éditoriales, iconographiques et de catalogues et de dossiers de presse, m'aurait été pourtant bien utile pour approfondir mon étude.
Ce mémoire est construit en trois parties principales. Avant d'analyser l'évolution de la politique éditoriale et du catalogue du Masque, je vais, dans un premier temps, m'attacher à définir et étudier les différents aspects que recouvre la politique éditoriale initiale adoptée par Albert Pigasse. J'insisterai sur le caractère novateur mais également trop limité de cette politique éditoriale qui conduit, finalement, Albert Pigasse à céder sa collection au groupe en Hachette, en 1971. La deuxième partie concernera l'étude et l'analyse de la nouvelle politique éditoriale adoptée par les Editions du Masque, sous la direction des éditeurs de Hachette, au début des années 1980. Je développerai les tenants et les aboutissants mais aussi les enjeux de cette nouvelle ligne éditoriale, conséquence d'une concurrence de plus en plus ardue, menée par les principaux successeurs d'Albert Pigasse : Michel Averlant, Hélène Amalric et Didier Imbot. Enfin, la troisième partie sera consacrée à l'étude approfondie des catalogues 2005 et 2006 du Masque, de leurs auteurs et de leurs productions. Je dresserai un panorama quasi-exhaustif des collections présentes dans ce catalogue et m'interrogerai pour conclure sur l'invariabilité de la célèbre couverture jaune du Masque.
[...] Ainsi, depuis les années 1930, les collections de littérature policière se sont multipliées à une allure spectaculaire : Série Noire et Folio Policier chez Gallimard, les Editions Fleuve Noir au groupe Editis, Grands détectives chez 10/18, Rivages Noir et Thriller Noir chez Payot & Rivages, Sang d'encre aux Presses de la Cité, Labyrinthes au Masque lui-même, Juge Ti et Prix du Quai des Orfèvres chez Fayard et j'en passe. En fait, en ce début de XXIe siècle, ce sont plus de soixante éditeurs français, la majorité publiant au format de poche, qui éditent des polars Un chiffre pharaonique qui explique en partie la croissance des titres. Comme pour les ouvrages de littérature générale, les grands groupes d'édition se sont taillé la part du gâteau sur le segment policier qui offre un marché à fort potentiel. Ce secteur, en plein développement fait envie à toute la profession. [...]
[...] Par ailleurs, la collection tente de mener à bien une politique suivie d'auteurs ainsi qu'un travail de fond important avec des auteurs français ou francophones mais aussi avec les traducteurs, depuis 2005. Concernant les auteurs étrangers, les agents littéraires et les journaux spécialisés anglo-saxons jouent un rôle très important dans la gestion des titres à paraître. Les éditeurs du Masque ont une parfaite connaissance du marché et des succès Outre-Manche et Outre-Atlantique afin d'organiser une politique éditoriale rationnelle et dynamique. [...]
[...] Les livres de la collection jaune du Masque ne sont pas destinés à durer. Parallèlement, tout en exploitant le fonds Agatha Christie, Le Masque veut révéler de jeunes auteurs français comme Pascale Fonteneau, Béatrice Nicodème ou Olivier Seigneur même s'ils plébiscitent peu le genre du “Mystère à l'anglaise" qui reste encore privilégié à l'heure actuelle affirme Hélène Bihéry dans l'article de Michel Champendal et Frédéric Malbois : Fans d'Agatha publié sur le site de Cose-Calcre (association de défense et information des auteurs), en 2005. [...]
[...] Les couleurs vives des couvertures illustrées attirent le regard. D'autre part, la collection Labyrinthes ne porte pas la marque du Masque. En effet, pour ces textes inédits et originaux, Le Masque se fait oublier et s'efface pour laisser s'opérer la magie liée aux époques lointaines. Le Masque évoque un roman trop contemporain où la magie n'a guère sa place. Labyrinthes ne garde du Masque que sa tonalité à l'anglaise et bien sûr l'enquête policière. Un nouveau logo rouge, cette fois-ci, est alors crée. [...]
[...] Beaucoup ignorent leur évolution et la création de leurs collections Grands Formats Quant aux adeptes des romans du Masque, ils restent fidèles à la collection jaune. Cette collection qui a traversé près de quatre vingt décennies fait aujourd'hui le bonheur de nombreux collectionneurs, comme je l'ai déjà expliqué. La conquête d'un nouveau lectorat n'est donc pas tout à fait acquise. Se départir d'une image stagnante et démodée, qui subsiste chez les lecteurs depuis plus de vingt ans, ne se fait pas en dix ou quinze ans. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture