Ecrire en temps de guerre, acte d'optimisme, auteur engagé, littérature engagée, prise de conscience, Akhmatova, Sartre, Nâzim Hikmet, Seconde Guerre mondiale
De l'œuvre d'Akhmatova, écrite entre 1917 et 1966, à celle de Nâzim Hikmet, "Pourquoi Benerdji s'est-il suicidé ?" en 1932 puis "Paysages humains", lors de la Seconde Guerre mondiale, le combat politique est omniprésent. Ces deux auteurs contemporains décident d'engager leur plume dans un contexte hors-norme, presque hors du temps. « Est-ce normal d'écrire des vers en de tels temps ? » s'interroge Hikmet. En effet, écrire dans une situation extraordinaire, dans une période si sombre, apparaît paradoxal.
Dans "Qu'est-ce que la littérature", en 1948, Sartre écrit : « La vision lucide de la situation la plus sombre est déjà, par elle-même, un acte d'optimisme : elle implique en effet que cette situation est pensable, c'est-à-dire que nous n'y sommes pas égarés comme dans une forêt obscure et que nous pouvons au contraire nous en arracher au moins l'esprit, la tenir sous notre regard, donc la dépasser déjà et prendre nos résolutions en face d'elle, même si ces résolutions sont désespérées ».
[...] En la voix du poète s'élèvent les clameurs de chaque individu en souffrance : Calcutta, une seule tête, un seul cœur Des millions de pieds. C. Quand la plume engagée porte l'espoir Le poète endolori et compatissant prend en charge le chagrin et le poids de chaque frère, en un élan de solidarité qui ne saurait que renforcer l'espoir : Et cela, vous pouvez le décrire ? - Oui, je peux. Et quelque chose comme un sourire s'esquisse enfin sur ce qui autrefois avait été son visage. [...]
[...] Cette Turquie rentre finalement au port dans un idéal utopique à dimension onirique, la Turquie enfin réhabilitée, comme revenue d'un long voyage (Paysages humains). Optimiste, Ana Akhmatova suggère elle aussi un futur meilleur, dans lequel persistera la beauté de sa langue maternelle, le russe enfin transmis aux enfants de la génération sacrifiée. En somme, les résolutions enthousiastes résistent toujours aux tentatives d'abandon. D'abandon de l'écriture de l'œuvre, d'abandon de la foi, d'abandon du conflit, d'abandon de l'existence. L'amour pour la terre maternelle, pour les proches disparus, pour les enfants qu'ils n'ont pas pu avoir, mais qui viendront un jour, cet amour multiple surpasse l'ampleur du massacre et des destructions, et surplombe le découragement ou le suicide. [...]
[...] La femme isolée restera en Russie jusqu'à son dernier souffle. De la même manière, le personnage du docteur Bey calcule son âge et ce qui lui reste à vivre, lors d'une conversation avec Hamil dans Paysages Humains. Indubitablement, quelques vers plus tard, il s'est suicidé. Ismail abandonne les rames et se laisse aller sur la mer, découragé par l'inhumanité de son exil maritime : Le pire de tout ( ) La solitude écrit Hikmet. Il est vrai que la condition d'écrivain banni prête largement au désespoir. [...]
[...] Une fois inscrit, noir sur blanc, on ne pourra plus faire comme si ou faire avec On ne pourra que prendre conscience de la nécessité de l'éveil, et de l'engagement. Écrire est un acte engagé disait Sartre. On pourrait en déduire que lire engendre l'acte engagé. L'ignorance préfigurée par la forêt obscure est écartée, le poème arrachant le lecteur à son immobilisme, mental ou physique. L'inactivité, la passivité des lecteurs ne sauraient se prolonger au lire de ces vers armés. [...]
[...] Ils contribuent ainsi à amoindrir le sentiment de déréliction de leurs concitoyens. Ana Akhmatova choisit une poésie souvent placée sous le signe de la métaphore, ou de la personnification : Elle aime. Elle aime le sang, Notre Russie Lorsque Hikmet, lui, choisit la prise de recul par l'artifice de l'humour et de l'ironie. C'est une écriture économique qu'il aime à employer, à la manière d'un scénario. On sait de lui sa passion pour le cinéma, et l'on comprend avec aisance sa tendance à l'onomatopée : Dran ! [...]
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