Le plaisir est bien la preuve semble-t-il que même sur des objets différents, sur des individus différents, un mécanisme de l'ordre de l'universel agit: « La vérité que cherche l'oeuvre d'art, c'est la vérité universelle de ce qui est singulier ». Afin de parvenir à une tentative de compréhension de ce mécanisme, un seul moyen nous paraît cohérent: le repérage pas à pas du chemin pris par un objet « esthétique » au sein d'un individu. Qui mieux que le couple formé de la représentation et de l'affect est en mesure de faire ce repérage avec suffisamment de précision et de justesse? Les raisons de ce choix peuvent être discutées, réfutées, néanmoins nous espérons que leurs justifications, qui ne se trouveront pas à de meilleurs endroits que tout au long de ce texte, rencontreront l'accord du plus grand nombre. A ce propos, lorsque M. Merleau-Ponty écrit, à partir de Cézanne: « un peintre, un artiste, doivent non seulement créer et exprimer une idée, mais encore réveiller les expériences qui l'enracineront dans les autres consciences », il semble réussir là d'où il le désir. Si une oeuvre est réussie quand « elle a le pouvoir étrange de s'enseigner elle-même », c'est bien que la création ne se joue pas dans le rapport entre un créateur et son oeuvre, mais plutôt dans cet espace triangulaire formé par le créateur, l'oeuvre, et le spectateur. Alors que ne faut-il faire sinon la laisser parler? De la même manière, S. Zweig, dédicaçant à Freud un ouvrage écrivit ceci: « Au professeur S. Freud/ A l'esprit perspicace, au créateur et à l'inspirateur/ ce triple accord d'efforts créateurs », et en effet il ne faut pas omettre de dire que celui qui inspire à autrui tient en cette force une part non négligeable de son propre pouvoir de création. Et au combien Freud semble-t-il être, de part le destin de sa pensée, un grand inspirateur dans de nombreux domaines. Loin de nous la pensée de pouvoir y échapper: l'opposition que Freud développe entre affect et représentation nous inspire non seulement pour la trouver apte à expliquer le cheminement de l'objet esthétique, mais également afin de nous faire toucher, au bout du chemin peut être, le plaisir. Cette opposition entre affect et représentation nous replonge pourtant directement dans la métaphysique occidentale avec les oppositions entre intelligible et sensible, signification et sensibilité. Peut-être comprenons-nous ainsi que de nombreux héritiers de la pensée freudienne aient abandonné soit ce cadre, soit la notion d'affect. Néanmoins la proximité de l'encadrement conceptuel de l' « affect » avec celui de la métaphysique fait dire à A. Green que Freud, « sans sortir de cette problématique, a fait éclater les limites de ce cadre ». En effet, ne serait-ce que l'utilisation que fit la psychanalyse de l'affect, à partir d'une vue clinique de l'hystérie, est déjà considérable. Plus tard, n'est-ce pas l'affect qui émergea comme le noyau insécable d'où une thérapie fut possible? N'est-ce pas dans la jonction de l'affect et du langage (et donc de la représentation du monde) que se joue le rôle curatif de la psychanalyse? S'il y a au moins une utilisation possible de ces deux termes, c'est bien qu'alors une jointure est possible: sa découverte est un autre point de perspective qui aussi nous guidera. Car, comment concilier des opposés sans faire fondre leur opposition qui en forme tout l'intérêt? Comment de plus ne pas basculer d'un côté ou de l'autre?
Dans cette perspective, si la nécessité d'aborder historiquement la question de l'idée d'affect dans l'oeuvre de Freud est clairement marquée, il nous semble plus urgent encore de clarifier ce que nous entendons par représentation, représentation d'objet, qu'est-ce que la réalité d'un objet,etc. Toutefois ne nous trompons pas sur le statut de cette première partie: il ne s'agit pas de la construction arbitraire et définitive d'une réalité que nous tiendrions pour universelle. Non pas tant parce qu'il s'agit d'une gageure que parce que nous ne nous situons ni en deçà ni au-delà de la possibilité d'un discours délirant. Plutôt nous plaçons-nous au coeur de la volonté de faire fonctionner un type de réalité qui soit la potentialité résumée de tous les discours, bref, qui soit de l'Autre. Il s'agira donc dans cette première partie d'amener d'avantage la compréhension de « tout un chacun » vers l'horizon de ce qu'il peut envisager que de décider de ce qu'est « un fois pour toute », le réel. Nous prenons ces précautions pour que cette partie ne soit pas l'objet d'un malentendu mais reste une introduction pour penser en négatif un point où le Réel reste impensable. Or, pour dévisager l'horizon de cet impensable, encore faut-il être à même d'en repérer quelques bornes qui y mènent. A ce titre la question de la perception, aussi éloignée qu'elle puisse paraître de la thématique du plaisir esthétique, nous semble essentielle au vu du nombre de problèmes qu'elle sous-tend.
[...] Lorsque l'affect est présent, c'est précisément la preuve du décalage de certains traits, de leur instabilité. Le bonheur n'a pas d'histoire nous affirme Thomas Bernhard. L'histoire ne fonctionne pas sur le bonheur, sur ce qui n'a pas d'histoire, où rien ne vient faire rupture, où aucun moment n'est autre que le précédent, donc sur la continuité parfaite et inflexible des traits au fil du temps. L'histoire subjective est rupture, perte, et regret. Et ce qui rend signifiant le décalage, c'est la présence de l'affect. [...]
[...] Sans rien présumer de ce grand travail, signalons cependant la présence de ce terme chez Jung (Métamorphoses et symboles de la libido, Métamorphoses de l'âme et ses symboles), également chez Lacan, Séminaire Seuil, p.138. Au sens où Paul Diel voit dans le miracle la rupture de l'ordre de la causalité In La divinité, étude psychanalytique, Paris: PUF Petit Robert Les métamorphoses sont au nombre de trois: d'abord la larve, puis la nymphe, et enfin l'imago. L'imago, c'est déjà l'être achevé, métamorphosé. F. Kafka, La Métamorphose (1912), Trad. Claude David, in Gallimard, coll. Folio p.79 Paul Eluard, Le Dur Désir de durer, Seghers M. [...]
[...] Ou bien n'est-ce alors qu'une métaphorisation de plus sacrifiée au culte de sa propre langue? La re-présentation n'est pas première dans l'ordre des causes, mais elle est la première des causes possibles. L'affect est un en deçà de la primauté, c'est le zéro du possible. Pour parler de l'affect, nous devons pour l'instant nous résoudre non seulement à métaphoriser, mais aussi à ne parler que comme du langage. C'est-à-dire à parler de l'« origine commune du reflet et du signe. [...]
[...] bref, autant de points sans lesquels il nous semble impossible, parce que trop téméraire, d'entrevoir la notion même de représentation Ensuite nous tâcherons de comprendre comment, à quel moment et en quel lieu, affect et représentation se côtoient-ils. Surtout tenterons-nous d'appréhender ce que signifie pour deux opposés d'avoir à coexister ensemble, et quelle est la modalité qui permet une pareille rencontre. Chacun des points dont nous allons parler nécessiterait un développement propre. Ce que nous proposons ici, c'est la trame, le recoupement des principales galeries courant sous certaines apparences qui masquent ce que nous essayons d'en comprendre. [...]
[...] Non pas que la paranoïa est la structure innée du psychisme (même si Lacan parle de connaissance paranoïaque il n'est pas question d'autre chose que de connaissance représentative), mais la structure du psychisme est sa condition a priori d'existence. De même que les autres pathologies psychiques se jouent dans l'interaction du Réel, de l'Imaginaire et du Symbolique. En d'autres termes, la réalité psychique ne semble pas se construire tant pour nous sur une matrice corporelle, dans l'espace Imaginaire et Symbolique[73] que dans la prégnance incommensurable du Réel. [...]
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