« Être un homme, c'est réduire au maximum sa part de comédie » André
Malraux – La condition humaine
« Comprendre le monde pour un homme, c'est le réduire à l'humain » Albert
Camus – Le mythe de Sisyphe
La mort, l'article létal, possède ces trois qualités que d'être primultime, semelfactive et
impondérable. Elle est pour ainsi dire le premier des indicibles. Albert Camus fait ce double
pari de rendre non seulement toute sa prégnance à cet ineffable, mais surtout de rendre
compossible la généralité de la mort et l'ipséité de ma mort. Puisque la mort est irréductible à
la simple cessation d'être, toute la désinvolture du penseur algérois consiste à écrire que la
mort n'est pas la fin de la vie. Le véritable coup de force qu'il réalise consiste à subsumer ces
deux monstres totalitaires que sont la mort et la vie en une seule et même substance. À ceux
qui ont le courage de faire leur « métier d'homme », Camus propose ainsi de réduire la dualité
de la vie et de la mort à un seul et même élan. Du double à l'unique, il y a là deux manières de
sentir, deux manières de penser, deux manières d'être au monde, bref deux types d'hommes.
Camus, lui, a fait son choix : l'être et le néant seront autant de concepts vides aussi longtemps
qu'ils seront incompossibles, exclusifs l'un l'autre. À Tipasa, le goût « juteux »1 de la vie se
paye du prix exorbitant de la reconnaissance de ma propre finitude. Assurément, d'aucuns
pourront dénier à la vie sa valeur pour des motifs précisément identiques. « Mais Djémila…»2
Et puis, après tout, il y a ceux qui pourront écrire que « tout [leur] royaume est sur cette
terre »3 et les autres.
[...] La pauvreté, voilà la vraie condition de la richesse chez Camus. Elle prend toute sa place dans le dessein camusien de rendre intelligible la différence de nature qui sépare le savoir de la connaissance. Mais l'homme pauvre, pour Camus, n'en est pas pour autant l'homme du ressentiment, il est pour ainsi dire satisfait de son indigence si tant est qu'il se contente de son bain de soleil journalier. L'indigence n'est pas l'envie, elle est la compréhension. Tout ce qui dénude, tout ce qui force à la lucidité devient dès lors chez Camus une expérience privilégiée. [...]
[...] Camus, plus que tout autre a conscience de ce hiatus entre le Marx philosophe et le Marx politique. Par exemple, le capitalisme chez Marx n'est pas le mal absolu par rapport à ce qui l'a précédé ; il y a une progressivité interne au capitalisme qui fait l'objet d'une double appréciation. Le capitalisme est en effet à la fois considéré comme un progrès humain et vu comme moteur de la décadence, de la mort de l'humanité. C'est une notion balancée, dialectique, et le capitalisme est à certains égards perçu comme progressif, à d'autres comme facteur d'inhibition pour l'histoire humaine. [...]
[...] Tuer la mort, c'est encore une fois faire intervenir celle que l'on voulait à jamais annihiler. Comme le dit Saint-Paul, la mort sera détruite la dernière ».104 Il y a cette absurdité supplémentaire dans la mort que la volonté d'immortalité suppose à nouveau de donner la mort à la mort ellemême. Pour que la mort ne soit plus, encore faut-il l'assassiner. Inutile de prétendre dépasser la fin des fins : la mort aura donc toujours le dernier mot, et elle a de beaux jours devant elle. [...]
[...] Il le dit lui-même : La logique n'a jamais guéri les désespoirs d'amour. Tel est le sentiment et non le concept d'absurde : le sentiment d'un corps qui s'écoeure sans raison. »418 Qu'on s'explique s'exclamait Céline419 en voulant faire face, tout de suite, sans circonvolutions, à la polémique. Camus aurait pu écrire ces quelques mots en épigraphe de toute son œuvre : qu'on en finisse avec les vains mots de la tricherie au monde, bref que l'on soit, enfin. Mais, assurément, cela suppose et exige une présence, dans un face-à-face immédiat, sans avenir »420 car de toutes les gloires, la moins trompeuse est celle qui se vit ».421 Mais de ce primat du vivre procède également la thématique de l'innocence et de la pureté chez Camus. [...]
[...] Paris : Gallimard, Tel p. SARTRE, Jean-Paul. Situations I éd. Paris : Gallimard p. SARTRE, Jean-Paul. Situations III, Lendemains de guerre éd. Paris : Gallimard p. SARTRE, Jean-Paul. Situations IV, Portraits éd. Paris : Gallimard p SARTRE, Jean-Paul. [...]
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