La nouvelle de Yourcenar "Comment Wang-Fô fut sauvé" est un conte oriental qui offre une réflexion sur les rapports entre l'art et le réel. Dans l'extrait proposé qui se situe peu après la rencontre entre Ling et le peintre Wang-Fô, l'écrivain exploite une thématique traditionnelle, celle du rapport entre le peintre et son modèle, où le portrait artistique va jusqu'à agir sur le modèle. Cependant, Marguerite Yourcenar traite ce topos d'une manière paradoxale. Comment Yourcenar, par le biais du genre du conte, donne-t-elle une vision originale de l'écriture du portrait pictural ?
A travers la figure du paradoxe, Yourcenar renouvelle le rapport d'opposition entre l'art et le réel. Mais cette réflexion sur l'art a un impact plus profond : la thématique du portrait dans le conte dépeint une vision du monde propre à l'auteur. Néanmoins, l'apologue est annexé au profit d'une recherche esthétique, qui finalement domine le passage. Le conte est une mise en abyme des oeuvres et des créateurs (...)
[...] Il y a un changement de nature dans le passage du réel vers le support pictural. Ainsi, Ling n'est plus un homme lorsqu'il est mis dans l'art : il est un être artistique, d'une autre nature, donc il peut être une femme dans la peinture. De même, le prunier du jardin devient un grand cèdre dans la peinture. Le narrateur marque l'écart entre le réel et l'art mais aussi leur contiguïté : l'art est n'est pas une part du réel, un reflet du réel, il est tout à fait autre chose. [...]
[...] Il y a donc une inversion des valeurs entre l'art et la vie : l'imaginaire est supérieur aux choses matérielles. Cette idée se montre aussi dans la soumission entière des personnages à l'art. Ling, qui est le disciple de l'artiste, va servir de modèle à Wang-Fô. Lui et sa femme sont peints sous un saule et sous un grand cèdre et Ling est tellement absorbé par son travail, qu'il oubliait de verser des larmes à la mort de sa femme. [...]
[...] On passe de l'indication Ling pouvait le faire à Puis Wang- Fô parla de peindre Il n'est pas affirmé dans le texte qu'il y a bien eu action de peindre, mais le lecteur rétablit l'ellipse narrative, par le connecteur temporel puis Le portrait n'est donc pas un portrait littéraire mais un portrait imaginaire : l'absence de détails enlève les caractéristiques de réalité au portrait. L'imagination domine le texte que se soit dans la thématique ou dans la stylistique. L'irréalité et l'imagination ouvrent le texte sur la poésie du langage. [...]
[...] En fait, pour mieux illustrer le paradoxe précédemment exposé, on peut comparer l'art de façon métaphorique à un miroir. Le miroir est le reflet du réel, mais il n'est qu'une image du réel, et par ailleurs une image inversée du réel. Cela est souligné dans le texte par les séries d'oppositions. Il y a une inversion des rôles dans le passage du réel à l'art : l'homme devient femme, la femme devient homme, le vivant devient mort (la femme de Ling meurt) et la mort devient vie (Wang-Fô peint la femme de Ling morte et la fait vivre dans sa peinture), le réel devient irréel (la femme, tangible, devient fée, être fantastique). [...]
[...] Paradoxalement, la simplicité du style dévoile une réflexion complexe sur l'art, qui tente de renouveler dans le conte l'écriture du portrait pictural, dans une contre description du peintre et du portrait. [...]
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