Chassé du château dans lequel il a passé son enfance et reçu l'éducation de son précepteur, l'optimiste Pangloss, Candide parcourt le monde pour retrouver Cunégonde, dont il a été séparé. Après avoir fui les jésuites du Paraguay, accompagné de son valet Cacambo, et bien des aventures, ils arrivent dans un pays étrange où l'on fait peu de cas de l'or et des pierres précieuses et où tout semble idéal, l'Eldorado (pays doré). À peine sortis de ce pays, Candide et son valet vont à Surinam où ils font la rencontre d'un esclave atrocement mutilé.
Il s'agit là d'une réalité historique (le Surinam est situé en Amérique, sur la côte de Guyane, et constitue alors une colonie hollandaise depuis 1667) qui sert à Voltaire pour dénoncer l'esclavage et l'optimisme.
I- Une simple constatation
Cet extrait surprend par la neutralité du ton : le narrateur lui-même et l'esclave ne semblent faire qu'un simple constat.
a- Un narrateur distant
La description de la scène se fait objectivement avec un ton neutre surprenant :
- lignes 1 à 3 : narration par une focalisation externe
- lignes 3 à 19 : dialogue de Candide et du nègre
- lignes 20 à 24 : réactions de Candide.
L'impression d'indifférence amène à se demander si l'homme ne vaudrait pas mieux que ses habits. Par une énumération descriptive, Voltaire met sur le même plan les vêtements et les membres : n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite (lignes 1 à 3). (...)
[...] Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais, si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible - Ô Pangloss ! s'écria Candide, tu n'avais pas deviné cette abomination ; c'en est fait, il faudra qu'à la fin je renonce à ton optimisme. - Qu'est- ce qu'optimisme ? disait Cacambo. - Hélas ! [...]
[...] Voltaire, Candide, Chapitre XIX (Le nègre de Surinam). Écu patagon : monnaie d'argent espagnole qui vaut un écu. Fétiches : un fétiche, ou une fétiche (on hésite sur le genre à l'époque) est défini comme les différents objets de la superstition des nègres Par une malice de Voltaire, dans la phrase suivante, ils désignent les prêcheurs hollandais. Cousins issus de germains : le français moderne dit tout simplement cousins germains ; ce sont les enfants de vrais frères (qui ont même père et même mère, par opposition aux frères utérins qui ont même mère mais des pères différents). [...]
[...] Voltaire soumet ainsi au lecteur une longue explication structurée et détaillée dans laquelle il notera les relations de causalité introduites par si . mais (ligne 14) et si Or (ligne 17-18) ainsi que le parallélisme des subordonnées temporelles et l'anaphore de quand : - c'est l'usage. On nous donne . (lignes - Quand nous travaillons . on nous coupe la main (ligne - quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe (ligne 9). Enfin, même lorsqu'il évoque sa situation personnelle, on ne sent aucune émotion ni révolte chez le nègre. [...]
[...] Le pathétique et surtout l'ironie tentent alors de le persuader de l'inhumanité inacceptable de l'esclavage dont l'infamie est ainsi dénoncée par le mépris de l'humain, la cruauté, la cupidité, la complicité du clergé et l'optimisme aveugle de ceux qui y restent indifférents. Majeur par sa portée philosophique, Le nègre de Surinam permet à Voltaire de nous faire part de son combat contre toute forme d'intolérance politique ou religieuse. Ce texte illustre la variété littéraire des Lumières. La même cause que dans De l'esprit des lois est ici défendue sous la forme d'un apologue, là où Montesquieu avait choisi le pamphlet ironique. [...]
[...] C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : Mon cher enfant, bénis nos fétiches adore-les toujours, ils te feront vivre heureux ; tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait 15 la mienne. [...]
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