Légère et maniable, la poésie doit savoir allier concision et variété : multiplicité des formes (vers réguliers, vers libres, sonnet, poème en prose, calligramme). C'est un genre qui peut prendre plusieurs formes et joue de tous les registres. Le renouvellement est une constante de la poésie qui, en perpétuelle évolution, se nourrit de changement. Nouveauté dans les thèmes mais aussi dans la forme, elle permet au poète de trouver sa consolation dans l'écriture et d'y exhaler ses désillusions et ses malaises. Ainsi, la ville, symbole de modernité, a dès le XIXe siècle inspiré les poètes qui ont adapté la forme de leur écriture à l'évolution du monde, sachant parfaitement que la langue poétique est d'autant plus profonde et efficace qu'elle frappe directement les sens (...)
[...] La ville, c'est la bouche fermée, l'œil aux aguets ; c'est je te donne ceci pour cela, fais vite er sans rire La ville, c'est l'attente, la cloche, la 10 sonnerie, le sifflet qui te dit : Lève-toi, viens là, puis fais ceci, va dîner ; c'est tout, bonsoir. Et ça recommence interminablement. La ville, c'est un immense cri que personne n'entend ; c'est un lourd silence roulant des bruits insupportables. La ville, c'est le royaume des grimaces et des masques [ ] La ville, c'est . des milliers de mains tendues qui prient. Des milliers de muscles 15 qui travaillent. Des bribes d'Angélus perdues dans le rire des cabarets. Des millions de mâchoires qui souffrent. [...]
[...] C'est un bruit de ferraille, la vapeur pourrie qui sort des caves et sent mauvais. Des yeux avec du sang et des hommes cachés qui ont du génie s'enferment, digèrent les malheurs et font des chefs-d'œuvre . C'est la vallée des larmes. Félix Leclerc, Pieds nus dans l'aube, Fides, coll. Alouette Bleue, Montréal Document D Bidonville Regarde-la ma ville Elle s'appelle Bidon Bidon, Bidon, Bidonville Vivre là-dedans c'est coton 5 Les filles qui ont la peau douce La vendent pour manger Dans les chambres l'herbe pousse Pour y dormir faut se pousser Les gosses jouent mais le ballon 10 C'est une boîte de sardines, Bidon Donne-moi ta main camarade Toi qui viens d'un pays Où les hommes sont beaux Donne-moi ta main camarade 15 J'ai cinq doigts moi aussi On peut se croire égaux Regarde-la ma ville Elle s'appelle Bidon Bidon, Bidon, Bidonville 20 Me tailler d'ici, à quoi bon Pourquoi veux-tu que je me perde Dans tes cités, à quoi ça sert ! [...]
[...] Dans le poème de Verhaeren, l'homme est totalement absent, littéralement englouti par la ville omniprésente. Si l'on retrouve de nombreux traits communs dans ces textes, ils diffèrent cependant par leur point de vue et leurs auteurs recourent à des moyens différents pour dresser cette image négative de la ville. Charles Cros parle en Vrai sauvage égaré (vers pour qui la ville est à l'opposé de sa conception personnelle du bonheur, paradis rêvé où tout n'est que calme et volupté. Son image de la ville se construit par opposition : sans localisation géographique précise, à l'inverse de la ville que les mots parisienne et Opéra désignent implicitement mais clairement comme Paris, le monde rêvé du poète est indéfini et multiple, désigné par des pluriels les rochers et les bois vers 11, s'opposent à la pierre vers ou des adjectifs indéfinis (il se situe dans quelque coin vers 5). [...]
[...] Du fond des brumes, Avec tous ses étages en voyage Jusques au ciel, vers de plus hauts étages Comme d'un rêve, elle s'exhume. Là-bas, Ce sont des ponts musclés de fer, Lancés, par bonds, à travers l'air ; Ce sont des blocs et des colonnes 10 Que décorent Sphinx et Gorgones : Ce sont des tours sur des faubourgs ; Ce sont des millions de toits Dressant au ciel leurs angles droits ; C'est la ville tentaculaire Debout, Au bout des plaines et des domaines. [...]
[...] Émile Verhaeren dépasse la réalité et fait de la ville un monstre, un céphalopode tentaculaire (vers 14) : les constructions modernes, personnifiées, rappellent curieusement les êtres mystérieux de la mythologie antique et semblent se mouvoir. Félix Leclerc réagit en homme effrayé par les usines et le vertige urbain ; il décrit la ville plutôt par le rythme haletant et frénétique des phrases et la densité de son texte. Claude Nougaro prend le parti des déshérités, pour qui la cité et la ville sont assimilées à un bidonville. [...]
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