Les mythes ont souvent été l'objet de reprises littéraires. Qui ne se souvient de la fortune de l'épisode d'Oedipe qui de Sophocle à Cocteau en passant par Corneille ou Voltaire, a longtemps fait réfléchir les lecteurs ? L'histoire de Caïn et d'Abel appartient à ces thèmes favoris des écrivains. Lorsque Victor Hugo, désireux de retracer l'histoire de l'humanité, rédige sa Légende des siècles entre 1859 et 1883, c'est naturellement à ce mythe qu'il songe en écrivant "La conscience". Dans ce poème, en effet, il brosse le portrait d'un Caïn terrifié par un oeil, qui le poursuit et qu'il semble être le seul à le voir. A la traditionnelle valeur morale et religieuse du récit biblique, il ajoute alors une dimension psychologique essentielle (...)
[...] Ils créent autour d'eux, artificiellement mais symboliquement, un univers obscur, représentatif de la conscience de Caïn. La dimension picturale et visionnaire du tableau esquissé par Hugo est ici très nette : la nuit remplace le jour, l'obscurité devient l'élément essentiel du décor, à l'image des dessins en noir et blanc tracés par Hugo lui-même. Elle prépare l'ombre finale, marquée par sa place répétée à la rime des derniers vers et par la proximité sémantique et sonore des termes employés : sombre ombre ou «tombe». [...]
[...] Ils lancent des flèches vers les étoiles, dans un geste de défi aux astres, à Dieu peut-être. L'homme s'affirme alors comme un guerrier, comme un révolté. Ils assument la revendication d'autonomie de leur aïeul Cette violence atteint son apogée dans les mots gravés sur la porte de la citadelle : Défense à Dieu d'entrer Les humains emploient une formule que Dieu avait utilisée pour leurs ancêtres lors de l'interdiction de croquer le fruit de l'arbre de vie ; ils ordonnent à leur créateur, s'imposent comme totalement indépendants : la créature se détache du démiurge, l'homme devient une volonté agissante et violente. [...]
[...] Il s'exprime avec assurance, assène un je veux dogmatique, emploie l'indicatif, mode de la certitude, pour exprimer sa volonté d'être séparé de tous. Il choisit l'isolement total exprimé dans un vers dont le rythme régulier, la structure en chiasme sont appuyés par un jeu sur le parallélisme ; en effet, il affirme rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien Il s'agit d'être d'abord l'objet de l'indifférence générale, (le mot rien par son sens absolu est essentiel ici), de devenir ensuite sujet mais d'une action devenue impossible ; L'obscurité est alors choisie comme une métaphore de la mort. [...]
[...] Ils créent un ensemble terrible qui ne peut susciter que a terreur et le malaise. La noirceur du décor rejoint celle de l'homme, la sécheresse des murailles évoque celle de leurs cœurs puisqu'ils tuent sans remords, accumulant les proies dans une formule ou le pluriel et la coordination renforcent le sentiment d'un massacre : »les fils d'Enos et les enfants de Seth En reprenant certains procédés de la Bible, Hugo rappelle l'inanité de toutes ces tentatives. Il s'appuie sur les références communes, sur l'arrière-plan culturel que constitue le mythe. [...]
[...] Le motif de la fuite, en avant d'abord, en hauteur ensuite, trouve son point d'achèvement dans cet ensevelissement. Il s'arrête, remarquons- le, puisque c'est le verbe habiter qu'il emploie, c'est sur une chaise »qu'il s'assied. Il a pris la décision de cesser de s'enfuir, d'échapper à l'œil en accomplissant un acte qui, en le coupant du monde et des siens, constitue un suicide symbolique. Il ne peut attenter à ses jours, mais il lui est en revanche possible de se stopper et de se perdre dans les ténèbres. b. [...]
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