Les Poèmes saturniens sont le premier recueil publié par Verlaine en 1866. Il se réclame ouvertement de Baudelaire, qui avait qualifié ses Fleurs du Mal (1857) de "livre saturnien", dans "Epigraphe pour un livre condamné" ; mais il tente néanmoins d'ouvrir une voie nouvelle. Le poème "Promenade sentimentale" est le troisième de la troisième section du recueil, intitulée "Paysages tristes". En seize décasyllabes aux rimes suivies, le poète y raconte une promenade au bord d'un étang au coucher du soleil ; mais il y fait surtout le tableau d'un paysage mélancolique qui reflète à merveille l'état de son âme. Cette correspondance entre la nature et la sensibilité du poète n'est pas nouvelle dans l'histoire de la poésie ; toutefois, le poème frappe d'emblée par l'excellence à suggérer mélancolie et monotonie, par un travail précis sur les mots réemployés et le rythme des vers aux enjambements multiples (...)
[...] Le chant de l'oiseau dans les bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n'ai plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie. Les heures fuient et m'entraînent ; je n'ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires. Dans combien de lieux ai-je déjà commencé à les écrire, et dans quel lieu les finirai-je ? Combien de temps me promènerai-je au bord des bois ? [...]
[...] Les liquides (v.6, 11-12) créent aussi une impression d'écoulement tranquille. Le caractère élégiaque a donc été suggéré moins par le lexique que par la structure en miroir, le phénomène de répétition et l'estompement de tout éclat ou de tout contour, y compris dans la forme même du poème. Ce qui s'imprime dans l'esprit du lecteur, c'est avant tout un rythme et une musique, qui font la réussite de cette plainte, travaillés avec une précision inédite. Verlaine réalise ici une prescription de son Art poétique (Jadis et naguère) : De la musique avant toute chose Si le thème du poète malheureux qui trouve dans la nature le miroir de sa sensibilité n'est pas nouveau, Verlaine le traite ici d'une nouvelle manière. [...]
[...] Il raconte en ne faisant de lui qu'un élément de la nature qui se noie dans les ténèbres La rime seul/linceul est assez claire. Le poème, à travers l'esquisse de récit (un seul verbe au passé simple), marque donc une progression vers la disparition : de même que la nature semble dépérir lentement, le poète, incapable d'action véritable, qui est accordée à la nuit, ressemble au Fantôme laiteux du vers 7. Un cycle mélancolique tragique - Le registre élégiaque s'appuie sur le lexique employé, qui suggèrent une tristesse et une sorte de fadeur plus propres à la plainte qu'à la douleur vive. [...]
[...] Les oiseaux qui batt[ent] des ailes semblent piteux dans un souvenir qui n'a plus d'objet. Plus que Verlaine lui-même, ce que la brume évoqu[e] au centre du poème, c'est l'attitude du Romantique qui se désespère et pleure comme un petit canard sauvage. - Cette lamentation produit un discours répétitif que le poème recrée à la perfection. Le poème dit que les mots ne sont plus l'essentiel, puisqu'ils sont toujours les mêmes. Le Moi qui erre et se lamente finit par disparaître dans le poème, dans la répétition de la mélancolie. [...]
[...] Mais Verlaine a une manière très particulière ici de traiter ce thème : s'il écrit un poème effectivement élégiaque, il le fait par une utilisation inédite du langage et du rythme. II. Un poème élégiaque qui confine à la tautologie et vise à estomper tout contour Une structure en miroir - La composition du poème est particulièrement travaillée, signifiante et efficace. Le retour des mêmes mots permet de voir dans ces seize vers un mouvement 4/2/4/2/4 : au premier quatrain répondent les quatre derniers vers, les vers 5-6 reviendront dans les vers 11-12. [...]
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