Verlaine, "Poèmes saturniens", "Monsieur Prudhomme" : commentaire

Résumé du document

Verlaine publie les Poèmes saturniens en 1866 ; c'est son premier recueil. Le poème liminaire, qui le place sous l'influence de Saturne, fait discrètement allusion à un contexte historique étouffant pour le jeune poète, celui du discours rationaliste prédominant, contre lequel Verlaine entre en résistance, et celui de la bourgeoisie triomphante du Second Empire et de sa censure. Monsieur Prudhomme est le premier poème publié par Verlaine, dans la Revue du Progrès moral, littéraire, scientifique et artistique en 1863, revue qui sera d'ailleurs interdite peu après. Dans ce poème, le cinquième de la section des Caprices, Verlaine stigmatise une attitude emblématique de l'époque, à travers le portrait d'un riche bourgeois établi. En quoi ce sonnet de jeunesse participe-t-il déjà de la réaction voulue par Verlaine contre une certaine rigidité, sociale et poétique ?

Extraits

[...] Dans ce poème, le cinquième de la section des Caprices Verlaine stigmatise une attitude emblématique de l'époque, à travers le portrait d'un riche bourgeois établi. En quoi ce sonnet de jeunesse participe-t-il déjà de la réaction voulue par Verlaine contre une certaine rigidité, sociale et poétique ? Nous étudierons d'abord le portrait qu'il brosse d'un bourgeois, avant d'en analyser la satire, qui épingle idéologies et stéréotypes. Nous verrons finalement que Verlaine propose ici sa première conception du poète et de la Poésie. I. [...]

[...] Parmi les motifs de rejet, l'apparence vestimentaire négligée, qui s'oppose au faux col : barbus, mal peignés Dans les périphrases, on trouve trois insultes : vauriens, maroufles, fainéants La poésie n'est pas chose sérieuse. Satire des clichés poétiques - Verlaine joue aussi à malmener la poésie telle que la conçoit un Monsieur Prudhomme. Ainsi le sonnet utilisé n'est-il pas tout à fait respecté dans sa forme traditionnelle. On ne retrouve pas par exemple, dans la distribution des strophes, l'opposition entre quatrains et tercets, ou entre les trois premières et la dernière. [...]

[...] Le poète, qui est à l'opposé des préoccupations bourgeoises, est un principe de désordre salutaire. Monsieur Prudhomme est d'ailleurs poursuivi par un éternel coryza ce qui lui ôte toute autorité ou solennité. La reprise au dernier vers du v.4, avec modification du second hémistiche, referme la satire sur un trait plaisant : avec le retour des pantoufles, c'est le confort et le conformisme qui sont visés, et l'accent sur brille donne au reste du vers un mouvement descendant. - Verlaine reprend la forme même de la poésie traditionnelle pour en faire une arme ; il désorganise le sonnet et le vers : désorganisation de la composition (les strophes ne correspondent plus à une unité de sens), travail sur les accents (trois en concurrence avec quatre) et le rythme (hémistiche en 1/5 aux vers 3 et 14 ; irréguliers : 5/2/5 (v.8) ; 4/5/3 (v.13). [...]

[...] Donc un homme qui chez lui pantoufles garde une tenue de rigueur faux col qui vit dans une certaine aisance, qu'indiquent les broderies, pensif, avec une contrariété : le rhume. Le portrait passe directement de la tête (oreille et yeux) aux pieds (pantoufles). - Portrait moral : plus développé que le physique, mais lié à lui. grave insoucieux (qui ne qualifie pas seulement le regard préoccupé par le mariage de sa fille : songe au v.8 est un rappel plus trivial du rêve du v.3. [...]

[...] Verlaine reprend cette énumération insultante comme une proclamation de fierté. Mais aussi, il montre la destinée des poètes dans cette époque du Second Empire, et rejoint le titre de son recueil : le bourgeois participe à l'image saturnienne du poète, et à sa Bonne part de malheur Déclassé et marginalisé, le poète saturnien est un rebut de la société, un poète maudit : l'insistance sur sa pilosité le rapproche du sauvage, l'écarte du social et du souci de représentation (le faux col Son activité est nulle : d'où les mots faiseurs vauriens (accentué) et fainéants La Poésie, une désorganisation de l'ordre établi - En conséquence, la Poésie s'affirme contre l'institution, et la charge satirique de ce poème est une manifestation de cet élan. [...]