Thucydide aurait matière à se réjouir ; alors qu'il formulait le désir d'écrire une oeuvre "pour toujours" (...) plus de 2400 ans plus tard ? puisque l'on estime qu'il a pu rédiger son oeuvre aux alentours de 399 avant Jésus-Christ ? on publie, on lit, on commente encore La guerre du Péloponnèse. Peut-être cet intérêt tient-il à l'importance de cette guerre pour le monde antique : elle mit en effet en scène une Athènes au sommet de sa gloire et des "coalitions" de cités, les unes en faveur d'Athènes, les autres en faveur de Sparte, d'une importance sans précédent mais surtout, comme le souligne Thucydide tout au long de son oeuvre, elle fut la cause d'une crise d'ampleur au sein du monde grec où elle introduisit un grand nombre de changements.
Après dix années ininterrompues de guerre entre 431 et 421, puis une assez courte paix, dite de Nicias, de 421 à 415, le conflit reprit avec l'expédition de Sicile, qui fut un désastre pour Athènes et celle-ci perdit finalement la guerre en 404. L'oligarchie des Trente y sera, alors, instaurée. Mais peut-être cet intérêt pour l'Histoire de la guerre du Péloponnèse tient-il aussi au style de son auteur, souvent considéré comme le premier historien moderne et qui, comme le souligne Jacqueline de Romilly, fait de "l'auteur du Vème siècle avant Jésus-Christ, un auteur désigné entre tous pour les lecteurs de notre temps". Thucydide, en effet, ne se contente pas de nous donner un récit de batailles ; il se penche sur les causes profondes de la guerre, nous propose une grille de lecture permettant de comprendre celle-ci (...)
[...] En effet, si la guerre du Péloponnèse se distingue par un conflit sans précédent par sa taille et sa durée, elle se distingue aussi par dureté. Jacqueline de Romilly le précise dans sa préface à l'Histoire de la guerre du Péloponnèse[62] : les discours rapportés par Thucydide révèlent des problèmes et ces problèmes sont militaires ou bien moraux ; mais avant tout ils expliquent le durcissement qui se fait de part et d'autre L'œuvre de l'historien montre en effet une gradation dans l'intensité du conflit qui deviendra de plus en plus meurtrier et, par certains aspects, de plus en plus immoral. [...]
[...] Le plaisir que les Spartiates accorderaient aux Thébains consisterait à exterminer la cité de Platée. Le plaisir dont on parle ici s'inscrit donc dans un contexte très négatif ; il apparaît dans un contexte de vengeance, et il est lié à une question de moralité. En effet, les Platéens essayent de convaincre leurs maîtres Lacédémoniens de ne pas les conduire à la mort afin de ne pas être trop mal jugés par les autres Grecs ; la phrase qui suit celle qui contient le mot ἡδονή est la suivante : il serait vite fait d'anéantir nos personnes, mais laborieux d'effacer cette ignominie[82] Il était donc important de rappeler que l'attitude des Lacédémoniens dans l'affaire de Platée était vécue comme un déni de justice : le plaisir donc s'oppose à la justice pour se retrouver au contraire du côté de la vengeance. [...]
[...] Or, il se trouve que la notion de plaisir apparaît dans les deux descriptions. A Athènes, juste après cette phrase critiquant la dégradation des mœurs, Thucydide ajoute cette phrase sur le plaisir : ῥᾷον γὰρ ἐτόλμα τις ἃ πρότερον ἀπεκρύπτετο μὴ καθ' ἡδονὴν ποιεῖν[94] Quelqu'un osait plus facilement faire selon son bon plaisir les choses qu'auparavant on cachait Juste un tout petit peu plus loin, l'historien rajoute : Ὅ τι δὲ ἤδη τε ἡδὺ πανταχόθεν τε ἐς αὐτὸ κερδαλέον, τοῦτο καὶ καλὸν καὶ χρήσιμον κατέστη[95] Ce qui véritablement était agréable, cela remplaçait le beau et l'utile Il y a donc un vrai lien entre dégradation morale et plaisir, celle-ci se faisant au profit de celui-là. [...]
[...] Ainsi, les événements des deux livres constituent un tournant négatif pour Athènes. On peut éventuellement expliquer cet intérêt des Athéniens pour la parole apportant des bonnes nouvelles par la difficulté de leur situation. Examinons tout d'abord les contextes des différentes occurrences. Les Athéniens ne sont pas les seuls visés par les plaisirs touchant la parole. Si le régime démocratique de la cité la rend particulièrement vulnérable à cause de la concertation populaire qu'elle induit, les alliés des ennemis Spartiates ne sont apparemment pas en reste. [...]
[...] C'est cette situation de non-réciprocité qui est vécue comme un déplaisir par les cités alliées et qui a pour conséquence que les Athéniens ne commandaient plus pareillement dans le plaisir En conséquence, la destruction de l'autonomie d'une cité alliée donne lieu à une distorsion du rapport entre Athènes et ces cités et cette absence d'égalité donne lieu à une absence de réciprocité et cette absence de réciprocité donne lieu à un déplaisir. L'absence de réciprocité a pour conséquence une absence de plaisir. Mais le contraire est aussi vrai ; une relation basée sur la réciprocité est la cause d'un plaisir. L'Athénien Démosthène remporte une importante victoire sur les Spartiates à Pylos. Après cette grave défaite, les Spartiates décident de conclure une trêve avec les Athéniens. [...]
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