Pendant des générations, à l'école, on a étudié les pièces de théâtre en les lisant (avec au mieux, quelques tentatives de jeu vivant, le livre en mains...), considérant que le théâtre était avant tout un texte dont le seul contenu suffisait à rendre compte de la pièce. Aujourd'hui, les programmes officiels de français reviennent sur cette erreur en insistant sur la représentation du théâtre et ce qu'elle apporte à la compréhension du texte, partant du principe qu'à l'origine, quand un auteur les invente, "les pièces sont faites pour être jouées", comme Molière le disait déjà en son temps (...)
[...] D'autre part, malgré les nombreuses didascalies fournies par les auteurs depuis le I8eme siècle (et dont Beaumarchais, dans Le barbier de Séville augmenta particulièrement l'importance), un simple lecteur de pièce de théâtre ne peut se rendre compte de l'importance tant référentielle que symbolique du décor et des accessoires. On a beau lire dans Le roi se meurt de Ionesco que peu à peu la pièce se rétrécit, que fenêtres et portes disparaissent et que le gris envahit tout, rien ne remplace l'angoisse existentielle du sentiment de la mort qui vous saisit lorsque, plongé dans la pénombre grise, vous ne distinguez plus que la silhouette affaissée et bredouillante du roi Béranger mené à la mort par son épouse Marguerite, véritable Parque noire. [...]
[...] Il perd aussi l'intérêt surprenant de la réactualisation de la pièce par la lecture particulière qu'en donne chaque metteur en scène en son temps. Qui n'est jamais allé au théâtre ne peut connaître dans sa pleine signification ce genre littéraire à la frontière de l'oral et de écrit. Certes, on peut se satisfaire, à défaut, de pièces dans un fauteuil comme les préconisait Musset, insatisfait des contraintes et de la simplification réductrice imposée par l'espace théâtral, mais alors on passe à côté de l'émotion suscitée par le spectacle théâtral. [...]
[...] Enfin, on a beau jeu d'étudier sous forme de schéma les rapports de force entre les personnages. Il suffit de voir dans la mise en scène donnée l'année dernière au TNB de Lorenzaccio de Musset, la petite silhouette noire et gracile du comédien interprétant le rôle titre, vacillante au bord de l'esplanade du parvis de la cathédrale pour comprendre toute la fragilité et la force du personnage défiant le groupe des riches Florentins qui le méprisent en contrebas sur la place. [...]
[...] Cette irruption du monde familier dans l'univers théâtral crée une connivence avec le public et rappelle combien cette tragi-comédie sur les rapports entre science et pouvoir, entre conscience morale et nécessité commerciale est encore bien d'actualité. Brecht n'en est pas pour autant trahi puisqu'il souhaitait lui-même ces incursions du monde réel dans l'univers théâtral pour favoriser une certaine distanciation réflexive. Texte théâtral et mise en scène sont donc en totale complémentarité et, sans conteste, une pièce perd beaucoup à n'être que lue. [...]
[...] En effet, le lieu théâtral est autant un lieu de spectacle qu'un espace social : la réaction que l'on peut avoir est souvent décuplée par la réaction des autres. Effet grégaire? Partage affectif spontané d'une collectivité autour de ses valeurs? Toujours est-il qu'un texte théâtral gagne souvent en intensité à être perçu par une salle qui y réagit fortement: qu'on songe au tohu-bohu suscité par les premières d'Hernani de Victor Hugo ou d'Ubu Roi d' Alfred Jarry en 1832 et 1896. [...]
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