La primauté du texte a frappé Antonin Artaud qui la déplore dans Le Théâtre et son double. Riche de sa découverte du théâtre balinais, où le langage est celui des masques, du maquillage, de la gestuelle et de la musique, Artaud s'insurge contre le fait qu'on réduise, en Occident, le théâtre à de la parole, c'est-à-dire qu'on exclue toute spécificité à ce genre, en en faisant "une branche de la littérature". L'affirmation d'Artaud invite à s'interroger sur la nature même du théâtre, du moins en Occident. Se réduit-il à du texte ? Le texte théâtral est-il autosuffisant ? Ou s'agit-il effectivement d'un texte dont le sens reste incomplet s'il reste en mots, et qui a besoin de ressources autres que verbales pour exprimer pleinement sa signification ? (...)
[...] Par ailleurs, même si le personnage n'arrête pas de parler, signifiant en cela qu'il ne lui reste plus que le langage, c'est pour dire la perte de ce que les mots ne peuvent retenir (les souvenirs : Quel Est-ce vers inoubliable ? Dans Rhinocéros, Bérenger est environné par les personnages qui se sont transformés et chez qui le langage humain est remplacé par les barrissements de l'animal. La parole a perdu son statut privilégié quasi sacré, qui faisait d'elle la part humaine de l'humain. [...]
[...] Enfin nous chercherons à mieux cerner la singularité du genre théâtral dans ses rapports de complémentarité avec la mise en scène, et la nécessité de celle-ci. I. La thèse d'Artaud : le théâtre occidental est un théâtre de la parole Explication et justification de cette thèse Le fondement du théâtre occidental est le théâtre grec, entièrement polarisé autour du muthos et du logos, deux mots qui renvoient à la parole. La tragédie grecque est avant tout le conflit verbal de deux pensées, la pensée étant par essence langage. [...]
[...] Enfin, le théâtre occidental, c'est aussi Shakespeare, dont l'influence est immense en Europe. Même si dans son théâtre la parole occupe une place importante, et en vers, la mise en scène n'est pas négligée et chez lui aussi le langage connaît une sorte de procès. C'est le cas dans Hamlet, avec le fameux vers Words, words, words qui rappelle la critique de Lorenzaccio : Ô bavardage humain c'est le cas dans Roméo et Juliette avec la mort en scène des deux amants, et les précisions des didascalies : Il expire en embrassant Juliette Elle tombe sur le corps de Roméo et expire Ces didascalies font sens en elles-mêmes, rappelant l'union des amants dans la mort. [...]
[...] Iphicrate et Arlequin échangent leurs tenues, et à partir de là ils doivent inverser les manières de s'adresser à l'autre. Costumes et langage sont les moyens, égaux en importance, de concrétiser la loi de l'île. Mais la pièce va jusqu'à critiquer un certain mode du langage, celui des apparences et de la séduction (celui des maîtres), contraire à celui de la sincérité : d'où des jeux de scène absolument essentiels, quand Arlequin, imitant son maître pour faire la cour et échouant, reste immobile, les bras le long du corps en disant : J'ai perdu la parole ou quand l'affection qui lie finalement Iphicrate et Arlequin se traduit physiquement par une embrassade et des larmes, langage simple, physique et sincère, plus que les mots. [...]
[...] La possibilité d'un théâtre fait d'abord pour être lu, et pas nécessairement pour être représenté. C'est sous le titre de Le Spectacle dans un fauteuil que Musset édite un certain nombre de ses pièces, considérant que l'essentiel réside dans la représentation imaginaire que se fait forcément le lecteur, et qu'il n'est pas utile de songer aux conditions matérielles de représentation concrète de la pièce. D'où la fréquence des tableaux dans les décors de Lorenzaccio : un jardin avec un pavillon, une rue avec des boutiques, chez le marquis Cibo, une cour du palais ducal avec une terrasse soit quatre décors pour les quatre premières scènes de l'acte I. [...]
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