Fiche de synthèse de l'analyse d'un extrait tiré des "Mots", roman autobiographie, écrit par Jean Paul Sartre à la toute fin de sa vie. Cette fiche se compose d'une rapide biographie de l'auteur, accompagnée de renseignements de culture générale, suivie de différents axes de lecture possibles de ce texte.
Sommaire
IV) Axes de lecture
A. L'ironie sartrienne dans la description B. Refus d'un type d'autobiographie
Conclusion
Extrait étudié:
A peu près vers le même temps que Charles Schweitzer rencontrait Louis Guillemin, un médecin de campagne épousa la fille d'un riche propriétaire périgourdin et s'installa avec elle dans la triste grand-rue de Thiviers, en face du pharmacien. Au lendemain du mariage, on découvrit que le beau-père n'avait pas le sou. Outré, le docteur Sartre resta quarante ans sans adresser la parole à sa femme ; à table, il s'exprimait par signes, elle finit par l'appeler « mon pensionnaire ». Il partageait son lit, pourtant, et, de temps à autre, sans un mot, l'engrossait : elle lui donna deux fils et une fille ; ces enfants du silence s'appelèrent Jean-Baptiste, Joseph et Hélène. Hélène épousa sur le tard un officier de cavalerie qui devint fou ; Joseph fit son service dans les zouaves et se retira de bonne heure chez ses parents. Il n'avait pas de métier : pris entre le mutisme de l'un et les criailleries de l'autre, il devint bègue et passa sa vie à se battre contre les mots. Jean-Baptiste voulut préparer Navale, pour voir la mer. En 1904, à Cherbourg, officier de marine et déjà rongé par les fièvres de Cochinchine, il fit la connaissance d'Anne-Marie Schweitzer, s'empara de cette grande fille délaissée, l'épousa, lui fit un enfant au galop, moi, et tenta de se réfugier dans la mort.
Mourir n'est pas facile : la fièvre intestinale montait sans hâte, il y eut des rémissions. Anne-Marie le soignait avec dévouement, mais sans pousser l'indécence jusqu'à l'aimer. Louise l'avait prévenue contre la vie conjugale : après des noces de sang, c'était une suite infinie de sacrifices, coupée de trivialités nocturnes. A l'exemple de sa mère, ma mère préféra le devoir au plaisir. Elle n'avait pas beaucoup connu mon père, ni avant, ni après le mariage, et devait parfois se demander pourquoi cet étranger avait choisi de mourir entre ses bras. On le transporta dans une métairie à quelques lieues de Thiviers ; son père venait le visiter chaque jour en carriole. Les veilles et les soucis épuisèrent Anne-Marie, son lait tarit, on me mit en nourrice non loin de là et je m'appliquai, moi aussi, à mourir : d'entérite et peut-être de ressentiment. A vingt ans, sans expérience ni conseils, ma mère se déchirait entre deux moribonds inconnus ; son mariage de raison trouvait sa vérité dans la maladie et le deuil. Moi, je profitais de la situation : à l'époque, les mères nourrissaient elles-mêmes et longtemps ; sans la chance de cette double agonie, j'eusse été exposé aux difficultés d'un sevrage tardif. Malade, sevré par la force à neuf mois, la fièvre et l'abrutissement m'empêchèrent de sentir le dernier coup de ciseaux qui tranche les liens de la mère et de l'enfant ; je plongeai dans un monde confus, peuplé d'hallucinations simples et de frustes idoles. A la mort de mon père, Anne-Marie et moi, nous nous réveillâmes d'un cauchemar commun ; je guéris. Mais nous étions victimes d'un malentendu : elle retrouvait avec amour un fils qu'elle n'avait jamais quitté vraiment ; je reprenais connaissance sur les genoux d'une étrangère.
IV) Axes de lecture
A. L'ironie sartrienne dans la description B. Refus d'un type d'autobiographie
Conclusion
Extrait étudié:
A peu près vers le même temps que Charles Schweitzer rencontrait Louis Guillemin, un médecin de campagne épousa la fille d'un riche propriétaire périgourdin et s'installa avec elle dans la triste grand-rue de Thiviers, en face du pharmacien. Au lendemain du mariage, on découvrit que le beau-père n'avait pas le sou. Outré, le docteur Sartre resta quarante ans sans adresser la parole à sa femme ; à table, il s'exprimait par signes, elle finit par l'appeler « mon pensionnaire ». Il partageait son lit, pourtant, et, de temps à autre, sans un mot, l'engrossait : elle lui donna deux fils et une fille ; ces enfants du silence s'appelèrent Jean-Baptiste, Joseph et Hélène. Hélène épousa sur le tard un officier de cavalerie qui devint fou ; Joseph fit son service dans les zouaves et se retira de bonne heure chez ses parents. Il n'avait pas de métier : pris entre le mutisme de l'un et les criailleries de l'autre, il devint bègue et passa sa vie à se battre contre les mots. Jean-Baptiste voulut préparer Navale, pour voir la mer. En 1904, à Cherbourg, officier de marine et déjà rongé par les fièvres de Cochinchine, il fit la connaissance d'Anne-Marie Schweitzer, s'empara de cette grande fille délaissée, l'épousa, lui fit un enfant au galop, moi, et tenta de se réfugier dans la mort.
Mourir n'est pas facile : la fièvre intestinale montait sans hâte, il y eut des rémissions. Anne-Marie le soignait avec dévouement, mais sans pousser l'indécence jusqu'à l'aimer. Louise l'avait prévenue contre la vie conjugale : après des noces de sang, c'était une suite infinie de sacrifices, coupée de trivialités nocturnes. A l'exemple de sa mère, ma mère préféra le devoir au plaisir. Elle n'avait pas beaucoup connu mon père, ni avant, ni après le mariage, et devait parfois se demander pourquoi cet étranger avait choisi de mourir entre ses bras. On le transporta dans une métairie à quelques lieues de Thiviers ; son père venait le visiter chaque jour en carriole. Les veilles et les soucis épuisèrent Anne-Marie, son lait tarit, on me mit en nourrice non loin de là et je m'appliquai, moi aussi, à mourir : d'entérite et peut-être de ressentiment. A vingt ans, sans expérience ni conseils, ma mère se déchirait entre deux moribonds inconnus ; son mariage de raison trouvait sa vérité dans la maladie et le deuil. Moi, je profitais de la situation : à l'époque, les mères nourrissaient elles-mêmes et longtemps ; sans la chance de cette double agonie, j'eusse été exposé aux difficultés d'un sevrage tardif. Malade, sevré par la force à neuf mois, la fièvre et l'abrutissement m'empêchèrent de sentir le dernier coup de ciseaux qui tranche les liens de la mère et de l'enfant ; je plongeai dans un monde confus, peuplé d'hallucinations simples et de frustes idoles. A la mort de mon père, Anne-Marie et moi, nous nous réveillâmes d'un cauchemar commun ; je guéris. Mais nous étions victimes d'un malentendu : elle retrouvait avec amour un fils qu'elle n'avait jamais quitté vraiment ; je reprenais connaissance sur les genoux d'une étrangère.
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Extraits
[...] Malade, sevré par la force à neuf mois, la fièvre et l'abrutissement m'empêchèrent de sentir le dernier coup de ciseaux qui tranche les liens de la mère et de l'enfant ; je plongeai dans un monde confus, peuplé d'hallucinations simples et de frustes idoles. A la mort de mon père, Anne-Marie et moi, nous nous réveillâmes d'un cauchemar commun ; je guéris. Mais nous étions victimes d'un malentendu : elle retrouvait avec amour un fils qu'elle n'avait jamais quitté vraiment ; je reprenais connaissance sur les genoux d'une étrangère. Jean-Paul Sartre (1905 1980) : Philosophe, écrivain et journaliste français. Figure de proue de l'existentialisme. [...]
[...] A l'exemple de sa mère, ma mère préféra le devoir au plaisir. Elle n'avait pas beaucoup connu mon père, ni avant, ni après le mariage, et devait parfois se demander pourquoi cet étranger avait choisi de mourir entre ses bras. On le transporta dans une métairie à quelques lieues de Thiviers ; son père venait le visiter chaque jour en carriole. Les veilles et les soucis épuisèrent Anne-Marie, son lait tarit, on me mit en nourrice non loin de là et je m'appliquai, moi aussi, à mourir : d'entérite et peut-être de ressentiment. [...]
[...] Extrait des Mots, naissance et petite enfance de l'auteur Pourquoi ? Ironie sur la naissance, compréhensible après la lecture d'autobiographies de facture classique (Rousseau, Les Confessions et Chateaubriand, Mémoires d'Outre-tombe). Axes de lecture : L'ironie sartrienne dans la description II) Refus d'un type d'autobiographie Absence totale de communication dans la famille. A la mort de mon père, Anne-Marie et moi, nous nous réveillâmes d'un cauchemar commun ; je guéris sa maladie est presque somatique, déclenchée par le besoin légitime de sa mère Complexe Œdipien Œdipe Roi analyse de Sigmund Freud) sous-jacent et implicite : à la mort du père, Sartre retrouve des sentiments, des sensations par rapport à cette mère (mort symbolique et mort réelle du père simultanées) Sartre mène l'ironie jusqu'à la narration de la rencontre de ses parents il lui fit un enfant au galop II) L'autobiographie Les Mots est le moment où Sartre va recréer son propre personnage, mais le récit des évènements de l'enfance est suspect : on note une forte idéalisation des souvenirs, une reconstitution du passé de l'auteur, une exagération dramatique Destruction de l'éloge parentale de Rousseau Par une autobiographie moderne et destructuratrice du genre, Jean-Paul Sartre évoque sa RENAISSANCE à la mort de son père, à l'issue d'un complexe Oedipien sous-jacent. [...]
[...] Il n'avait pas de métier : pris entre le mutisme de l'un et les criailleries de l'autre, il devint bègue et passa sa vie à se battre contre les mots. Jean-Baptiste voulut préparer Navale, pour voir la mer. En 1904, à Cherbourg, officier de marine et déjà rongé par les fièvres de Cochinchine, il fit la connaissance d'Anne-Marie Schweitzer, s'empara de cette grande fille délaissée, l'épousa, lui fit un enfant au galop, moi, et tenta de se réfugier dans la mort. [...]
[...] Compagne (elle n'était pas sa femme) : Simone de Beauvoir union libre Sartre fonda les Temps Modernes en 1945 qui deviendra une revue importante de la gauche intellectuelle (contenu = politique). Anticolonialiste. Œuvres : La Nausée (1938) L'être et le Néant (1943) Les Mouches (1943) L'existentialisme est un humanisme (1946) Les Mains sales (1948) Les Mots (1964) Il n'y a pas de bons pères, c'est la règle. Qu'on n'en tienne pas rigueur aux hommes, mais au lien de paternité qui est pourri. Jean-Paul Sartre, in Les Mots Introduction : Qui ? Jean-Paul Sartre Quoi ? Les Mots Quand ? [...]
Jean-Paul Sartre est un écrivain français du XXème siècle. Il est né le 21 juin 1905. Cet écrivain est l'auteur de nombreux ouvrages, notamment L'être et le Néant publié en 1943, qui fait parti de son oeuvre principal en philosophie. Jean-Paul Sartre est fils unique. Son père est mort alors qu'il était encore très jeune. Il va intégrer l'école...
Récit autobiographique composé par Jean-Paul Sartre et publié en 1963 et 1964 pour Les Temps modernes, Les Mots racontent son enfance de 4 à 11 ans. L'ouvrage est divisé en deux parties, « Lire » et « Ecrire ». Au-delà du récit chronologique traditionnel,...