Après le Sentiment des citoyens, libelle anonyme où Voltaire attaquait sa vie privée et révélait l'abandon de ses enfants, Rousseau entreprit Les Confessions pour se justifier. Les livres I à VI, écrits entre 1765 et 1767, soit dans une période de calme, retracent la jeunesse insouciante de l'auteur alors que les six autres livres, rédigés dans l'inquiétude (en 1769-1770), réveillent le souvenir désagréable de sa brouille avec Mme d'Epinay et les philosophes sur un ton plus âpre et dans une visée de plus en plus apologétique.
Dans cet extrait du livre II, Rousseau revient sur un moment de joie de son adolescence : alors qu'il a seize ans et qu'il est en fugue, Mme de Warens le recueille à Annecy et décide de l'envoyer recevoir le baptême à l'hospice des catéchumènes de Turin (...)
[...] En effet, Rousseau emploie des effets oratoires, notamment dans l'accumulation des subordonnées, construite de telle sorte que la phase ascendante de cette longue période s'achève brusquement. Par cet effet, et après avoir longuement détaillé l'objectivité de son entreprise, il exclu toute possibilité d'objection de la part de son lecteur. De même, il anticipe une éventuelle contestation du destinataire en lui répondant par avance : tout le paragraphe constitue la réponse à l'interrogation au style direct : qu'a-t-il fait durant ce temps là ? [...]
[...] D'autre part, lorsque Rousseau évoque le souvenir heureux de ce voyage vers Turin, marqué par la liberté d'esprit et la simplicité, il le met en parallèle avec un autre moment de son existence au cours duquel il a dû se plier aux obligations mondaines. Cette superposition de deux temporalités permet à l'auteur d'opposer deux styles de vie : l'une étant simple et naturelle, l'autre artificielle et contraignante. Le lecteur peut alors observer que le malheur de Rousseau date de son entrée dans une société pervertie par le luxe et la civilisation qui impose l'abandon des plaisirs simples pour des usages mondains. [...]
[...] L'éloge du bonheur de voyager à pied par exemple, se retrouve dans le Livre V de l'Emile, l'opposition entre nature et civilisation, mise en évidence de manière virulente dans le premier paragraphe de notre extrait, est l'illustration par l'exemple de la théorie exposée dans ses deux Discours. En faisant en sorte que sa vie soit parfaitement conforme à ses thèses philosophiques, et que Les Confessions en soient le reflet, Rousseau forge son propre mythe, et cette construction remet irrémédiablement en cause l'objectivité de son œuvre. [...]
[...] En quoi l'évocation de ce souvenir heureux, malgré une nouvelle affirmation de l'auteur sur sa volonté d'authenticité, laisse-t-elle transparaître les limites de l'entreprise autobiographique ? Nous analyserons dans un premier lieu la manière élogieuse dont Rousseau retrace cet instant de plénitude, puis nous mettrons en évidence les points forts de son plaidoyer pour enfin souligner que ce récit, bien que sincère, reste partial. Le voyage pédestre représente un plaisir absolu pour le jeune homme qu'il fut, et un souvenir inoubliable pour le Rousseau narrateur qui nous en fait ici le récit. [...]
[...] il ne m'accuse de n'avoir pas voulu tout dire. Je donne assez de prise à la malignité des hommes par mes récits, sans lui en donner encore par mon silence. Mon petit pécule était parti : j'avais jasé, et mon indiscrétion ne fut pas pour mes conducteurs à pure perte. Mme Sabran trouva le moyen de m'arracher jusqu'à un petit ruban glacé d'argent que Mme de Warens m'avait donné pour ma petite épée, et que je regrettai plus que tout le reste : l'épée même eût resté dans leurs mains si je m'étais moins obstiné. [...]
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