Placé dans le recueil de poèmes les Illuminations, "Conte" annonce dès la lecture de son titre une contradiction, voire une confrontation des genres. Chez Rimbaud le genre narratif du conte semble prendre place au milieu des poèmes : l'ordre des choses s'en trouve volontairement bouleversé par le poète. Suivant directement "Enfance" dans l'ordre du recueil, le texte plonge le lecteur dans l'univers des contes enfantins où se côtoient Princes et Génies, et où le merveilleux semble tout rendre possible. Or dans c'est dans cet univers digne des Milles et une Nuits que surgissent côte à côte brutalité et sensualité, cruauté dévastatrice et poésie, comme si la quête d'Absolu de l'auteur, cette recherche "du désir et de la satisfaction essentiels", ne pouvait s'accomplir que dans la destruction et le désordre (...)
[...] Il n'en commanda point de nouvelles. - Les femmes réapparurent. Il tua tous ceux qui le suivaient, après la chasse ou les libations. - Tous le suivaient. Il s'amusa à égorger les bêtes de luxe. Il fit flamber les palais. Il se ruait sur les gens et les taillait en pièces. - La foule, les toits d'or, les belles bêtes existaient encore. [...]
[...] Cette révolution qui semble vitale au Prince, il lui faut trouver comment l'amener. Or il semble qu'elle ne puisse se faire que dans la violence et par la destruction. On trouve ici le topos du renouveau par la destruction. Or cette destruction va se faire avec une férocité, une barbarie extrême. On trouve ainsi dans le texte toute un isotopie de la destruction, de la sauvagerie : assassinée ; saccage ; sabre ; tua ; égorger ; flamber ; se ruait ; taillait en pièce ; destruction ; cruauté, s'anéantirent ; en mourir ; moururent ; décéda Cette brutalité va d'ailleurs en s'accentuant, avec une gradation notable dans la violence du tyran : en effet on remarque en premier lieu une tournure passive : les femmes [ ] furent assassinée puis une tournure active mais avec un terme relativement neutre : tua Enfin, le quatrième paragraphe témoigne d'une grande cruauté, qui se retrouve dans l'association inattendue des termes s'amusa à égorger : de la sauvagerie découle à présent le plaisir du Prince. [...]
[...] Or, comme on l'a vu précédemment la destruction est inefficace, la révolution souhaitée impossible. En effet, les actes du Prince sont inefficace, tout comme la parole du poète. Le poète, tout comme le Prince, se trouve dans une impasse : la parole poétique semble impuissante à changer les choses. Elle est insignifiante, car même révolutionnaire, elle ne reste que parole inopérante. Les projets respectifs du Prince et du poète restent dans le domaine du rêve de l'irréel, de la virtualité. [...]
[...] Or ici encore la contradiction apparaît : le champs lexical du plaisir se mêle à celui de la violence, la quête du Prince ne peut se réaliser que dans la barbarie, mais ne peut pourtant pas se réaliser. Or cet quête est semée d'indices montrant qu'elle peut se lire allégoriquement comme la quête du poète lui-même. L'échec du Prince devient par métaphore échec du poète et de la poésie elle- même, constat impuissant du statut de l'homme voué à l'insatisfaction essentielle. [...]
[...] Or cette distanciation du narrateur sur son récit est mise en œuvre par d'autres procédés. Tout d'abord par la surenchère adjectivale qui caractérise la rencontre avec le Génie : les adjectif sont repartis de façon binaire, la même structure se retrouve pour qualifier la beauté du Génie et le bonheur : ineffable, inavouable même ; indicible, insupportable même ! On remarque d'ailleurs une certaine remarque ressemblance entre les adjectifs, formés par dérivation affixale, avec le préfixe in et le suffixe able/ –ible mais aussi une certaine redondance entre ces adjectifs, et notamment entre ineffable et indicible On peut ajouter à ces paires adjectivales multiple et complexe ! [...]
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