« Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon et Nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu'ils ignorent tout à fait. »
« Je est un autre » Proposition qui forme un paradoxe : le pronom qui désigne celui qui parle, celui que nous croyons le mieux connaître serait, à en croire Rimbaud, un autre. En quel sens l'entendre ? Est-il un autre que celui qu'il croit être, un autre que celui que l'on croit connaître ? Ou alors devient-il un autre à chaque instant ? Peu importe. Le sujet n'est jamais, selon Rimbaud, identique à lui-même. Il n'existe que dans le mouvement qui le fait différer de soi : il se transforme constamment (...)
[...] D'ailleurs la première partie du poème (strophe évoque cette libération. La rupture brutale avec le monde terrestre, l'abandon des haleurs aux peaux rouges qui les supplicient, la perte progressive de tout chemin, la course folle puis la danse du bateau, enfin sa purification et sa régénération au contact de la mer, tout, dans ces vers, évoque la joie et le bien-être d'une telle libération. La dérive du moi, à l'image de celle du bateau est comprise ici comme une chance, une condition de l'aventure, une ouverture à l'imaginaire Les pouvoirs de l'imaginaire Strophe la métaphore décrit la mer comme le poème qui la décrit : Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème de la mer Celui-ci ne nomme plus seulement les choses en respectant les conventions, il les suscite dans l'imagination sous un angle imprévu. [...]
[...] On le voit si je est un autre La réalité qu'il perçoit est autre elle aussi et ne distingue guère de l'hallucination. Le monde qu'évoque Rimbaud se voit happé dans le vertige des métamorphoses. Or, en quoi ce monde serait-il moins réel que celui que nous avons pris l'habitude de nous représenter dans l'usage conventionnel de la langue. III Le désenchantement Le poème se termine curieusement par un triple désenchantement, le regret de l' Europe aux anciens parapets c'est d'avantage encore le désir de mourir à la strophe 23, c'est enfin le retours au r6eve de l'enfant plein de tristesses qui au bord de l'étang, lâche un bateau frêle comme un papillon de mai Pourquoi une telle désillusion ? [...]
[...] Elle offre en effet l'image du poète relaçant sa chaussure, La trivialité du geste à elle seule rompt avec le lyrisme. Mais c'est surtout la métaphore qui est instructive : elle met en rapport la poésie, symbolisée par la lyre, avec les lacets que tire le poète, un pied près de son coeur»". Comment mieux tourner le dos à l'image traditionnelle de l'inspiration poétique ? Comment montrer plus ironiquement que le poète ne s'inspire que de sa propre marche ? [...]
[...] La métaphore qui suit cette formule permet d'en préciser le sens. Du bois au violon, il y a toute la différence qui sépare le matériau brut de l'instrument de musique. La transformation du bois renvoie à celle du sujet appelé à devenir autre et à s'enrichir de cette aventure. Voilà ce qu'ignorent les inconscients que les promesses de cette métamorphose laissent de marbre et qui préfèrent s'en tenir à la logique de l'identité. I Le dépassement du lyrisme Par presque tous ses aspects ma bohème appartient encore au lyrisme. [...]
[...] Le bonheur que donne la poésie ne réside pas dans la possession d'un autre monde, il est de rendre supportable celui-ci en nous donnant l'idée de ce qu'il pourrait être. Ce que promet le poème, par-delà les images qu'il suscite, c'est lui- même. Il risque certes de décevoir notre attente d'un autre monde, mais en même temps il est capable de nous enchanter. D'ailleurs, ce qu'il donne n'est pas vain : c'est l'assurance que le sujet peut se dépasser et agrandir l'image qu'il se fait des choses qui l'entourent, qu'il peut devenir autre imaginer d'autres usages possibles de la langue et du monde qu'il hérite. [...]
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