L'histoire de la littérature française la plus récente consacre cette version désormais consensuelle : un tournant décisif a eu lieu au début des années quatre-vingt – dont on peut voir les prémices une décennie plus tôt. La plupart des critiques s'accordent à noter qu'aurait pris fin le temps des avant-gardes. Les plus pessimistes qualifient alors la nouvelle période ainsi amorcée de « reflux », de « crépuscule » ou de « crise » ; tandis que les optimistes dessinent une littérature post-moderne, consciente d'elle-même, expérimentatrice, défaite de toute certitude identitaire – et, au fond, perpétuellement soumise au « soupçon » (c'est-à-dire au questionnement lucide de la conscience critique). L'un des signes les plus flagrants de ce changement d'humeur serait le retour du proscrit des années Nouveau Roman, le « Je ». Pour les sempiternels pessimistes, ce retour triomphal annoncerait une régression ; pour les autres, une résurrection. Quoiqu'il en soit, c'est un « Je » dévêtu, débarrassé de ses oripeaux romanesques, dissolvant toute forme assurée de conscience de soi en enseignant cette seule vérité : l'auteur, le Moi, n'existe jamais que comme fiction.
[...] Dans Le Miroir qui revient, Alain Robbe-Grillet va jusqu'à déclarer : Je n'ai jamais parlé d'autre chose que de moi ce qui ne manque pas de provoquer des réactions d'étonnement et de surprise, au grand plaisir de l'auteur. En effet, Alain Robbe-Grillet multiplie les déclarations pour souligner l'aspect révolutionnaire du livre. Il présente ce retour à l'autobiographie non comme une apostasie ou un renoncement, mais comme une incursion perverse dans ce genre traditionnel qu'il va bouleverser [ ] comme le souligne Philippe Lejeune dans Peut-on innover en autobiographie ? [...]
[...] Dès lors apparaissaient les formes nouvelles de ceux délaissant le roman pour l'écriture de soi, comme Julien Green, avec la notion d'écriture multiple ; et l'écriture automatique, avec les surréalistes, qui procède d'un lieu anonyme, l'inconscient, mais reste une recherche de soi sur soi et on peut plus particulièrement évoquer Céline et Breton La tentation autobiographique Depuis ces vingt dernières années et la fin des avant-gardes, le Je fait un retour inattendu sur la scène littéraire de langue française, et chacun de s'engouffrer dans la voie ouverte et défrichée par Roland Barthes avec son Roland Barthes par Roland Barthes (1975). Cette tentation et tentative autobiographique connaît deux vagues successives de même importance. La première vague est le fait d'écrivains souvent nouveaux venus sur la scène littéraire et en rupture avec le Nouveau roman. Ainsi, et par exemple, des textes comme W ou le souvenir d'enfance (1975) de Georges Perec, Fils (1977) de Serge Doubrovsky, Livret de famille (1977) de Patrick Modiano, consacrent une résurgence du récit comme du sujet. [...]
[...] Le geste moderne s'il a absorbé les questionnements des années précédentes, même les plus virulents, jusqu'à l'assassinat de l'Auteur par Roland Barthes, n'en porte pas le deuil. Ce qui importe désormais, c'est, en naviguant dans l'espace sans limites et comme indéterminé de la littérature moderne (Gérard Genette), de témoigner d'une volonté d'étendre les territoires de l'écriture sans faire l'économie des suspicions passées : Peut-on nommer cela, comme on parle de Nouveau Roman, d'une Nouvelle Autobiographie, terme qui a déjà rencontré quelque faveur ? [...]
[...] Dès lors, ce qui importe, à travers cette hypothèse d'un Je intervenant, c'est la remise en question de la croyance naïve en une personnalité dont l'œuvre romanesque ou poétique constituerait le passif reflet : Si bien que si la littérature présente renoue avec le plaisir narratif et ne se refuse plus les séductions de la nostalgie. [ ] les formes que prend ce retour au récit sont très diverses, depuis le plaisir assumé qui ne se refuse aucune des gratifications de la fiction jusqu'à la parodie qui met en cause les modèles qu'elle suscite. Le geste moderne trouve ainsi à se perpétuer parfois sous des formes inattendues, souvent débarrassées des substrats idéologiques ou théoriques qui en réglaient le cours. [...]
[...] L'attitude des ex-adeptes du néo-romanesque n'est pas exempte de provocation démagogique : ils s'adonnent à un genre méprisé et ne sont contents que lorsque la critique salue en eux des romanciers démiurgiques. Un lieu commun tenace fait de l'autobiographie un genre mineur, témoignant, chez celui qui s'y livre, d'un manque d'esprit d'invention. Ecrire des romans, des poèmes, c'est vraiment créer. Ecrire son autobiographie, c'est se relâcher, s'avachir, démissionner : C'est dangereux l'autobiographie, c'est un genre bâtard, une solution de facilité pour quand on manque de courage [ ] c'est toujours une baisse de tension5 ; c'est prendre sa retraite, se ranger6. [...]
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