Racine, grand auteur de tragédies, aborde avec Bérénice un grand thème qu'il va dans l'esprit du classicisme puiser aux sources de l'antiquité romaine (et de l'oeuvre de l'historien Suétone). L'histoire met en scène la décision déchirante à laquelle est acculée le nouvel empereur Titus qui succède à son père Vespasien : se montrer digne de son rang en se soumettant aux attentes de Rome et en sacrifiant sa relation amoureuse de cinq années avec une étrangère ; la reine de Palestine Bérénice (...)
[...] Le tragique janséniste : le sacrifice vertueux plutôt que la mort _ Une originalité : la mort était dans la tragédie antique considérée non pas comme une fuite mais commr un acte de grandeur or Bérénice vient dernier moment dénouer le triple péril potentiel du suicide de Titus (si elle-même se donne la mort), d'Antiochus (qui vient d'en exprimer le désir) et de Bérénice elle-même. Racine en faisant proclamer à Bérénice arrêtez, arrêtez (qui fait écho plus tard à la conclusion du Portez loin de mes yeux vos soupirs et vos fers fait donc un autre choix qui repousse l'issue sanglant. _ Un choix qui porte la marque janséniste : lecteur des jansénistes, en relation avec les reclus de Port-Royal . Racine en conserve manifestement des traces. [...]
[...] se retirer et mourir). La structure dégage une progression argumentative solide : d'abord une sorte d'évaluation froide de la situation (vers 1470 / 1475) puis le discours à Titus qui débute par un retour sur le passé récent (vers 1476 / 1484), se continue par l'assurance qu'elle a conscience que l'amour qui les lie reste inaltérable (vers 1485 / 1491) mais que seul son retrait est la solution (vers 1492 / 1495). La sèche brièveté avec laquelle Bérénice affiche sa volonté je veux ne manque pas d'être accompagnée de la marque de l'obéissance : il s'agit d'une volonté qui nait d'une soumission face à une force reconnue comme impérative et inéluctable je suivrai vos ordres absolus Le final de la parole de Bérénice s'adresse d'abord à Antiochus (vers 1496 / 1502) avec une conviction persuasive marquée par la succession de quatre impératifs : vivez ; faites-vous ; portez loin ; réglez votre conduite Enfin, les derniers vers sont comme un épilogue développé avec une assurance digne et qui ne tremble pas : le nous de l'impératif servons qui ensuite va se transformer en je d'une Bérénice imposant sa force aux deux hommes ne suivez point mes pas avec une indéniable autorité. [...]
[...] et Antiochus laisse échapper un bref Hélas qui valide définitivement la démarche de Bérénice. B. Le choix de Bérénice : le tragique du sacrifice C'est cet aspect qui révèle le plus haut sommet tragique atteint par ce personnage : _ L'amour est présenté comme la force sur laquelle Bérénice s'appuie pour s'exiler et se résigner à vivre sans se donner la mort : Par un dernier effort couronner tout le reste. L'amour se trouve paradoxalement sauvé et magnifié par le sacrifice de Bérénice au point d'accéder au rang de modèle d'amour absolu pour tous! [...]
[...] L'anaphore sur le verbe aimer est une trace de l'intensité du sentiment. L'amour est bien évidemment encore avoué lorsque Bérénice témoigne que la force qu'elle va trouver pour se sacrifier vient de la certitude que Titus l'aime toujours : vous m'aimez toujours. Votre coeur s'est troublé, j'ai vu couler vos larmes Le rythme obtenu par la coupe centrale à l'hémistiche ne fait que renforcer l'importance que Bérénice accorde aux larmes versées par Titus. Mais l'instant pathétique de cette fin de pièce est l'ironie qui ne fait que révéler combien l'amour reste intense chez elle : Bérénice, Seigneur, ne vaut point tant d'alarmes La litote de ce vers ne parvient pas à masquer l'émotion qui étreint ici la reine. [...]
[...] Cette fin est aussi marquante dans le fait qu'elle refuse l'issue sanglant des tragédies classiques pour préférer mettre en avant un choix vertueux influencé par le jansénisme : la mort n'est plus recommandable (tradition venant de l'antiquité) alors que l'élévation vers la grandeur se trouve associée à l'idée du retrait du monde, du repli intérieur et du culte du Dieu amour sur un plan idéalisé et sublimé. [...]
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