Plusieurs tragédies de Racine, comme Bajazet (1672) ou Andromaque (1667), sont construites autour du schéma d'amours non partagées et sources de jalousie. Ainsi dans Andromaque, dont l'action se déroule après la légendaire guerre de Troie, le Grec Pyrrhus, fils du célèbre Achille, s'est épris de sa captive Andromaque, la veuve du héros troyen Hector.
Celle-ci est partagée entre sa fidélité au souvenir de son mari et son désir de sauver son fils, également prisonnier de Pyrrhus. Soumise aux pressions de Pyrrhus, Andromaque finit par accepter de l'épouser. Mais celle qui aime Pyrrhus d'un amour sans retour, Hermione, demande alors à Oreste, lui-même fou d'amour pour cette dernière, de lui prouver sa passion en assassinant Pyrrhus (...)
[...] Ta haine a pris plaisir à former ma misère, J'étais né pour servir d'exemple à ta colère, Pour être du malheur un modèle accompli ; Hé bien ! Je meurs content1, et mon sort est rempli. Où sont ces deux amants ? Pour couronner ma joie, Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie ; L'un et l'autre en mourant, je les veux regarder. Réunissons trois cœurs qui n'ont pu s'accorder. Mais quelle épaisse nuit tout à coup m'environne ? De quel côté sortir ? D'où vient que je frissonne ? Quelle horreur2 me saisit ? [...]
[...] Dans le même ordre d'idée, Racine fait par la suite effectuer à Oreste une confusion entre Pylade et Pyrrhus Quoi, Pyrrhus, je te rencontre encore ? v.1629), ce qui paraît d'autant plus extravagant qu'Oreste a déjà tué Pyrrhus. Racine exhibe aussi l'incohérence de son personnage en prêtant à Oreste la vision d'un Pyrrhus percé de tant de coups (v.1631), avant même que tout coup n'ait été porté : Tiens, tiens, voilà, le coup que je t'ai réservé (v.1632). Ensuite Oreste croit voir Hermione (v.1633), puis, toujours avec une gradation croissante dans le dérèglement psychique, des démons des serpents et les filles d'enfer (v.1636-8), avec lesquelles Oreste engage une conversation imaginaire, comme s'il était dans un monde parallèle, déconnecté du monde réel. [...]
[...] Dans un premier temps, le pathétique procède de l'ironie désespérée avec laquelle Oreste accueille d'abord son malheur et en remercie la puissance divine : Oui, je te loue, ô Ciel ! de ta persévérance. (v.1614) ; Pour couronner ma joie, / Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie. (v.1622). Le texte comporte en effet plusieurs occurrences du champ lexical du malheur et de la souffrance mon malheur v.1613, ma misère v.1617) et Racine ne lésine pas sur les hyperboles pour apitoyer le lecteur sur le sort de victime qui est celui d'Oreste : Au comble des douleurs tu m'as fait parvenir. [...]
[...] Ainsi, le temps nous presse : Ménageons8 les moments que ce transport9 nous laisse. Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissants, S'il reprenait ici sa rage avec ses sens NOTES EXPLICATIVES : 1. content : satisfait horreur : au sens étymologique de la manifestation de la terreur qui se traduisait par un hérissement des poils j'abhorre : je hais profondément l'embrasse : le serre dans ses bras après soi : derrière elle l'appareil : la troupe de démons il perd le sentiment : il est dans un état second ménageons : mettons à profit transport : manifestation violente des sentiments COMMENTAIRE : Plusieurs tragédies de Racine, comme Bajazet (1672) ou Andromaque (1667), sont construites autour du schéma d'amours non partagées et sources de jalousie. [...]
[...] À mes yeux Hermione l'embrasse ? (v.1633). De manière déchirante, Oreste évoque le manque de reconnaissance d'Hermione L'ingrate v.1643) et même son mépris avec les affreux regards Ŕ expression mise en valeur par l'allitération en et par le chiasme sonore : affreux regards Ŕ qu'elle jette même sur lui : Racine 5 laisse ainsi entendre que le meurtre de Pyrrhus n'a pas servi à rendre Oreste aimable aux yeux d'Hermione, bien au contraire. Ce dénouement présente donc de manière très pathétique la souffrance tragique d'un amant jaloux, abandonné par les yeux comme par les hommes, et permet ainsi d'entrevoir la vision pessimiste qu'a Racine de la passion amoureuse. [...]
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