Des personnages pourtant grossiers en apparence :
Mais même si ces personnages sont censés refléter l'humaniste idéal, ils se comportent d'une façon très déconcertante pour le lecteur non-prévenu. Gargantua, que l'on décrivait à l'instant comme un homme sage et moral, passe son temps à boire du vin et à manger toutes sortes de viandes grasses, se complaisant ainsi dans le sensible. Il est accouché par la nourriture elle-même (épisode de la naissance de Gargantua suite à l'ingestion de tripes par Gargamelle) et son premier cri est : "A boire !". Il se rattache ainsi dès sa naissance au tactile, au physique (...)
[...] Il est accouché par la nourriture elle-même (épisode de la naissance de Gargantua suite à l'ingestion de tripes par Gargamelle) et son premier cri est : A boire ! Il se rattache ainsi dès sa naissance au tactile, au physique. ( Il en est de même pour Grandgousier dont on a du mal à croire que l'homme du début de l'œuvre soit aussi celui qui donne une leçon de religion aux pèlerins à la fin du roman. La première phrase concernant Grandgousier est en effet la suivante : Grandgousier estoit bon raillard en son temps, aymant à boyre net autant que homme qui pour lors fust au monde, et mangeoit voluntiers salé. [...]
[...] Sa supériorité sur l'animal se traduit par sa sagesse, son envie de vivre intensément, sa moralité (épisode de la fin de la guerre avec Picrochole, dont il relâche les hommes au chapitre il aime faire partie des hommes et respecte ces derniers dans leur ensemble. ( Grandgousier incarne lui aussi l'humanisme : il agit avec discernement et clairvoyance à de nombreuses reprises dans l'œuvre. Tout d'abord en choisissant de confier Gargantua à Ponocrates qui est instruit et pédagogue et qui fait du fils de Grandgousier un véritable érudit ; ensuite pendant la guerre picrocholine, où il s'efforce non seulement de maintenir la paix, mais aussi de comprendre son adversaire en se remettant sans cesse en question. Il fait ainsi preuve d'écoute et de bonté. [...]
[...] Il y a une leçon dans Gargantua, elle est moins dans les idées que dans le ton du serio ludere, du jeu instructif tiré de Lucien. Ce ton relègue aux oubliettes tous ceux qui se prennent au sérieux et prétendent imposer un système unique et définitif : des bâtisseurs d'empire aux théologiens de la Sorbonne, pontifes et docteurs de tout poil. Nous nous demanderons donc ce qu'a voulu dire exactement Françoise Joukovsky, et en quoi cela s'applique à Gargantua. S'il est vrai que Rabelais se sert de ses personnages pour transmettre certaines de ses idées, cela ne l'empêche guère de faire évoluer ses héros au fil de sa réflexion, et c'est cette progression entourée de vin et de mangeaille qu'il faut voir, bien avant l'opinion même de Rabelais. [...]
[...] Bakhtine traite avec brio du grotesque et du grivois chez Rabelais, mais il oublie l'instruction. B Les critiques qui oublient le vulgaire et le grossier ( A l'inverse, nombreux sont les critiques à se concentrer uniquement sur l'humanisme, dédaignant les premiers chapitres de l'œuvre (les plus grotesques) et se focalisant sur l'auteur et sa pensée plus que sur ses personnages. ( Françoise Joukovsky les qualifie avec humour de pontifes et docteurs de tout poil qui se prennent au sérieux et prétendent imposer un système unique et définitif sur l'œuvre de Rabelais. [...]
[...] C'est pourquoi Victor Hugo qualifie Rabelais d' Homère de la mangeaille rendant compte ainsi à la fois du côté intellectuel et littéraire de l'œuvre digne d'Homère et du côté gras et charnel de Gargantua. Il apparaît donc, comme l'a dit Françoise Joukovsky, que Gargantua est une œuvre qui se joue de ceux qui se prennent au sérieux et où Rabelais prend plaisir à user du serio ludere, du jeu instructif pour grandir ses personnages, sans jamais renoncer à leurs côtés carnavalesques, ni se ligoter dans ses idées. Gargantua reste ainsi une œuvre aux multiples facettes, insaisissable et doucement moqueuse. [...]
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