Marcel Proust, "A la recherche du temps perdu", "La Prisonnière": commentaire linéaire
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Publiée en 1923, La Prisonnière est le premier texte posthume de Proust et le cinquième tome de La Recherche. Avec lui s'ouvre le cycle d'Albertine, jeune fille rencontrée sur la plage de Balbec dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs et retrouvée dans Sodome et Gomorrhe. Dans ce quatrième tome, la relation amoureuse entre le narrateur et Albertine est contrariée par plusieurs révélations concernant la sexualité ambiguë de celle-ci. Dès la fin de Sodome, la jalousie s'insinue dans l'amour du narrateur, ce qui fait écho à la passion de Swann pour Odette au début de La Recherche.
Le narrateur choisit d'installer Albertine chez lui. La première journée de La Prisonnière, qui en compte cinq comme la tragédie classique se composait de cinq actes, présente au lecteur une Albertine soumise aux règles de vie du narrateur. Mais celui-ci n'est plus amoureux d'elle : il est jaloux, et même, seule sa jalousie donne encore de la valeur à Albertine. Le présent extrait se situe au début de la deuxième journée. Les quelques lignes qui le précèdent expliquent la réflexion que le narrateur se fait à lui-même sur la jalousie (...)
Sommaire
Introduction
I) Définition appliquée de la jalousie par le narrateur II) Portrait des "êtres de fuite"
Conclusion
Texte étudié
La jalousie n'est souvent qu'un inquiet besoin de tyrannie appliqué aux choses de l'amour. J'avais sans doute hérité de mon père ce brusque désir arbitraire de menacer les êtres que j'aimais le plus dans les espérances dont ils se berçaient avec une sécurité que je voulais leur montrer trompeuse ; quand je voyais qu'Albertine avait combiné à mon insu, en se cachant de moi, le plan d'une sortie que j'eusse fait tout au monde pour lui rendre plus facile et plus agréable si elle m'en avait fait le confident, je disais négligemment, pour la faire trembler, que je comptais sortir ce jour-là. Je me mis à suggérer à Albertine d'autres buts de promenades qui eussent rendu la visite Verdurin impossible, en des paroles empreintes d'une feinte indifférence sous laquelle je tâchai de déguiser mon énervement. Mais elle l'avait dépisté. Il rencontrait chez elle la force électrique d'une volonté contraire qui la repoussait vivement; dans les yeux d'Albertine j'en voyais jaillir les étincelles. Au reste, à quoi bon m'attacher à ce que disaient les prunelles en ce moment ? Comment n'avais-je pas depuis longtemps remarqué que les yeux d'Albertine appartenaient à la famille de ceux qui, même chez un être médiocre, semblent faits de plusieurs morceaux à cause de tous les lieux où l'être veut se trouver - et cacher qu'il veut se trouver - ce jour-là ? Des yeux, par mensonge toujours immobiles et passifs, mais dynamiques, mesurables par les mètres ou kilomètres à franchir pour se trouver au rendez-vous voulu, implacablement voulu, des yeux qui sourient moins encore au plaisir qui les tente qu'ils ne s'auréolent de la tristesse et du découragement qu'il y aura peut-être une difficulté pour aller au rendez-vous. Entre vos mains mêmes, ces êtres-là sont des êtres de fuite. Pour comprendre les émotions qu'ils donnent et que d'autres êtres, même plus beaux, ne donnent pas, il faut calculer qu'ils sont non pas immobiles, mais en mouvement, et ajouter à leur personne un signe correspondant à ce qu'en physique est le signe qui signifie vitesse.
Introduction
I) Définition appliquée de la jalousie par le narrateur II) Portrait des "êtres de fuite"
Conclusion
Texte étudié
La jalousie n'est souvent qu'un inquiet besoin de tyrannie appliqué aux choses de l'amour. J'avais sans doute hérité de mon père ce brusque désir arbitraire de menacer les êtres que j'aimais le plus dans les espérances dont ils se berçaient avec une sécurité que je voulais leur montrer trompeuse ; quand je voyais qu'Albertine avait combiné à mon insu, en se cachant de moi, le plan d'une sortie que j'eusse fait tout au monde pour lui rendre plus facile et plus agréable si elle m'en avait fait le confident, je disais négligemment, pour la faire trembler, que je comptais sortir ce jour-là. Je me mis à suggérer à Albertine d'autres buts de promenades qui eussent rendu la visite Verdurin impossible, en des paroles empreintes d'une feinte indifférence sous laquelle je tâchai de déguiser mon énervement. Mais elle l'avait dépisté. Il rencontrait chez elle la force électrique d'une volonté contraire qui la repoussait vivement; dans les yeux d'Albertine j'en voyais jaillir les étincelles. Au reste, à quoi bon m'attacher à ce que disaient les prunelles en ce moment ? Comment n'avais-je pas depuis longtemps remarqué que les yeux d'Albertine appartenaient à la famille de ceux qui, même chez un être médiocre, semblent faits de plusieurs morceaux à cause de tous les lieux où l'être veut se trouver - et cacher qu'il veut se trouver - ce jour-là ? Des yeux, par mensonge toujours immobiles et passifs, mais dynamiques, mesurables par les mètres ou kilomètres à franchir pour se trouver au rendez-vous voulu, implacablement voulu, des yeux qui sourient moins encore au plaisir qui les tente qu'ils ne s'auréolent de la tristesse et du découragement qu'il y aura peut-être une difficulté pour aller au rendez-vous. Entre vos mains mêmes, ces êtres-là sont des êtres de fuite. Pour comprendre les émotions qu'ils donnent et que d'autres êtres, même plus beaux, ne donnent pas, il faut calculer qu'ils sont non pas immobiles, mais en mouvement, et ajouter à leur personne un signe correspondant à ce qu'en physique est le signe qui signifie vitesse.
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Extraits
[...] Sa liberté n'a de limites que celles de l'imagination, mais c'est dans cette contrainte seule que peut surgir la révélation du Temps retrouvé, précédée par tout un protocole de métamorphoses intérieures. De même, la contrepartie des souffrances réside dans un besoin de connaître la vérité qui stimule l'instinct romanesque ; et l'impossibilité de connaître la vérité d'un être transforme la vie en un roman capable de se développer à l'infini. Dans ce paradoxe essentiel peut naître un Moi transfiguré, brûlé et révélé à l'expérience de l'Art. [...]
[...] De plus, le narrateur apprendra au salon Verdurin que Mlle Vinteuil est attendue avec son amie (souvenir de la scène de Montjouvain) : Albertine le savait-elle ? Sans doute, vu sa détermination. Cette ironie entraîne le narrateur dans un univers tragique, celui de la prison des doutes et des intentions. Les mots empreintes, feintes, déguiser concentrés sur deux lignes, reprennent le champ de la dissimulation ; à travers le thème du masque, souligné par le relatif sous laquelle c'est bien à l'univers du jeu théâtral que le narrateur se soumet, et La Prisonnière a bien cette valeur dramatique, notamment avec l'unité de lieu. [...]
[...] Il y a donc une contradiction essentielle dans ce je, d'autant plus qu'il est omniprésent. La phrase se développe en s'affinant, depuis le verbe menacer jusqu'à la relative que je voulais montrer trompeuse Plus qu'une sorte de tautologie, il faut lire dans cette phrase une quête d'un sens total. Une rupture presque imperceptible entre deux imparfaits permet à cette phrase longue de proliférer en exploitant le temps comme matière : le narrateur rapproche avec le plus-que-parfait l'image du père j'avais hérité de son propre comportement général passé que j'aimais le plus mais l'imparfait suivant, dans la temporelle quand je voyais qu'Albertine se rapporte à la situation précise. [...]
[...] Deux adjectifs répondent à deux autres. La physique est la science de la nature qui donne une loi aux phénomènes. Le mouvement de la phrase, proliférateur, traduit la dynamique du désir de connaître. En pleine recherche, le narrateur reprend et élargit ce qu'il a dit du mouvement et de la distance (sans oublier que le temps est un espace, et inversement), pour les replacer dans un contexte qui se veut scientifique (objectif, vrai). On glisse alors logiquement vers le présent de vérité générale - de loi. [...]
[...] Dès la fin de Sodome, la jalousie s'insinue dans l'amour du narrateur, ce qui fait écho à la passion de Swann pour Odette au début de La Recherche. Le narrateur choisit d'installer Albertine chez lui. La première journée de La Prisonnière, qui en compte cinq comme la tragédie classique se composait de cinq actes, présente au lecteur une Albertine soumise aux règles de vie du narrateur. Mais celui-ci n'est plus amoureux d'elle : il est jaloux, et même, seule sa jalousie donne encore de la valeur à Albertine. [...]