Dans son Contre Sainte-Beuve, Marcel Proust a attaqué la « célèbre méthode » du critique, selon laquelle l'oeuvre d'un écrivain serait avant tout le reflet de sa vie et pourrait s'expliquer par elle. En fait, plus une sensibilité créatrice est riche et complexe, moins elle est réductible aux données visibles d'une biographie :
« Un livre, dit Proust, est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices. »
Ainsi donc, ce qu'il y eût en lui-même d'essentiel, c'est son oeuvre qui nous le révèle, plus que son existence apparemment frivole et facile (au moins dans sa jeunesse), en réalité presque continûment douloureuse et tourmentée (...)
[...] C'est que les soirs où des étrangers, ou seulement M. Swann, étaient là, maman ne montait pas dans ma chambre. Je dînais avant tout le monde et je venais ensuite m'asseoir à table, jusqu'à huit heures où il était convenu que je devais monter ; ce baiser précieux et fragile que maman me confiait d'habitude dans mon lit au moment de m'endormir il me fallait le transporter de la salle à manger dans ma chambre et le garder pendant tout le temps que je me déshabillais, sans que se brisât sa douceur, sans que se répandît et s'évaporât sa vertu volatile et, justement ces soirs-là où j'aurais eu besoin de le recevoir avec plus de précaution, il fallait que je le prisse, que je le dérobasse brusquement, publiquement, sans même avoir le temps et la liberté d'esprit nécessaires pour porter à ce que je faisais cette attention des maniaques qui s'efforcent de ne pas penser à autre chose pendant qu'ils ferment une porte, pour pouvoir, quand l'incertitude maladive leur revient, lui opposer victorieusement le souvenir du moment où ils l'ont fermée. [...]
[...] La puissance du langage commence à être révélée, malgré l'échec d'une recomposition du passé. Il semble alors que malgré l'échec premier d'un retour sur dans le passé, le sens caché s'immisce dans la langue et profite de cette faille du langage pour s'instituer comme présente, jusqu'à la fin de l'œuvre. Aussi peut-on se soumettre au questionnement suivant : la fuite dans l'écriture du sommeil pourrait-elle être la seule issue de l'écriture du sens ? En effet, au fil de l'œuvre, Marcel Proust nous inonde de descriptions de sommeil. [...]
[...] Puis La prisonnière, La fugitive, enfin Le temps retrouvé en 1927. Après une bronchite contractée en allant chez des amis, c'est le 18 novembre 1922 que Marcel Proust rendait le dernier souffle. Parvenu désormais à l'éternel apaisement, son visage frappa tous les visiteurs comme si, à jamais fermé sur les printemps de Combray, il pouvait respirer, au-delà de la vie, leur odeur d'invisibles et persistants lilas A la recherche du temps perdu est à la fois l'histoire d'une époque et l'histoire d'une conscience, écrit Ramon Fernandez ; ce dédoublement et cette conjonction en font la profonde, la surprenante originalité. [...]
[...] Peut être est-ce à l'image du Proust auteur qu'ils se partagent, lui-même divisé entre désir, tentation et extrême frousse quant à son œuvre. Aussi, ce caractère de dualité est répété avec le sourire d'un des deux Russes, mi-interrogateur, mi-destiné à persuader qui retrace le style de Proust, à la fois fait de questionnement et d'auto persuasion des mots. Le caractère immobile de la scène, déjà annoncé avec cette cravate blanche ou ce métronome dont la mécanique est cassée, est renforcé par ce qui suit : l'un des deux un beau jeune homme répétait toutes les deux minutes à l'autre avec un sourire mi-interrogateur, mi-destiné à persuader : ‘quoi ! [...]
[...] La troisième fois que Swann et la Sonate se rencontrent de nouveau, lieu chez les Verdurin. La soirée s'annonçait mal, Odette et Swann n'étaient pas en bonne liaison. Cela est essentiel pour comprendre l'unité fusionnelle créée par la sonate. Dès le début, Proust oppose les termes qui renvoient aux deux personnes, Swann et Odette séparés à Odette et à lui, elle et lui et ceux qui les unit à eux deux, les L'opposition syntaxique est en fait une rupture temporelle : là encore, la réminiscence est une échappatoire, elle est ce qui restitue les bienfaits du passé pour pacifier le présent. [...]
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