"Les Ponts" de Rimbaud (commentaire composé)

Résumé du document

Les Illuminations de Rimbaud parcourent toute une gamme de sensations, de rêves de souvenirs et de visions, de couleurs et de lumières, qui en font le microcosme d'une expérience où se multiplient à l'infini les communications entre le spirituel, le verbal et le poétique, aussi bien dans une nature vierge que dans un paysage urbain comme l'illustre le poème Les Ponts (...)

Extraits

[...] Elles n'ont pas la dureté, l'opacité d'un en-soi. Rimbaud lui-même les traite paradoxalement à la fois comme des fantasmagories et comme des spectacles. Il souligne le fait qu'elles sont issues de lui et que sans lui elles n'existeraient pas, mais c'est seulement afin de les projeter hors de lui sur un écran de papier et de les transformer en objets spectaculaires. A la fois rêves et tableaux, illuminations et enluminures, ils participent en même temps d'un délire et d'une volonté d'art. [...]

[...] Mais en dénonçant cette comédie, Rimbaud la poursuit puisque pour détruire son image, il fait intervenir un nouvel élément de celle-ci. Telle est l'ironie du créateur face à sa décevante création. Lorsque le poète s'attache à dire, il prend donc un risque. Dire dans Les Ponts a détruit l'extase : l'écriture a trahi le poète. La poésie ne mime donc pas ici le réel, mais le mime en ouvrant cet au-delà de la représentation imaginé d'ailleurs par Rimbaud lorsqu'il enjoignait le poète à se faire voyant par un dérèglement de tous les sens qui est aussi un dérèglement du sens. [...]

[...] Il s'agit de dessiner en se fondant sur une certaine rythmique de la phrase. Ce poème peut se décrire comme une tentative pour dépasser la simple notation par la construction. Si l'on met à part la phase finale qui liquide l'expérience poétique ici tentée par Rimbaud, le poème se développe entre deux notations qui se correspondent dans une identité de couleur et d'éclat, la première définissant un haut et l'autre un bas : des ciels gris de cristal l'eau est grise et bleue Le bizarre dessin de la deuxième phrase contient toute la dynamique métamorphosante du poème, il est l'illumination dans sa démarche créatrice. [...]

[...] Le monde qu'appréhendent Les Illuminations est celui de la discontinuité absolue. Cette structure se reflète dans l'isolement même des poèmes, impossibles à organiser dans une dialectique quelconque. Et non seulement elles sont discontinues, sans suite ni liens logiques ou stylistiques, mais elles se situent sur des plans différents : aux apologues succèdent des visions véritables, des descriptions de métropoles aux fantastiques architectures dignes de Piranèse ou de la peinture pompéienne dite du 3ème style comme Les Ponts. Dans les architectures de rêve qu'édifie l'imagination rimbaldienne, on retrouve une structure commune : celle de la dislocation en hauteur, de la dénivellation, des ruptures de plans, Jacques Rivière n'ayant alors pas tort de dire Rimbaud hanté par l'idée des différences de hauteur Et sans aller jusqu'à trouver un sens métaphysique à cette hantise du disloqué et à affirmer que l'objet montré par Rimbaud c'est simplement notre monde saisi d'incohérence par le voisinage de l'au- delà, on peut dire que les enchevêtrements de ponts que nous décrit le poète reproduisent analogiquement dans leur structure, ou si l'on préfère, symbolisent ou incarnent la dislocation foncière du monde qui se découvre à lui et dont participent les textes mêmes, dans le détail ou dans l'ensemble, où cette dislocation est transposée. [...]

[...] Le poème perd la structure de sa dynamique métamorphosante : la diversité, l'anarchie s'installent, l'accumulation devient baroque. Le dessin, dans son effet horizontal conduisait au vertige, alors qu'il éclate, se morcèle, dans son effet vertical. Il y a passage de la construction à l'inventaire, le poème répond de moins en moins à son objet et perd simultanément en netteté : le on du spectateur est mis en scène qui distingue puis en est réduit au peut-être Tout s'échappe dans l'interrogation qui précède le retour au point de départ, sont-ce des airs populaires ? [...]