Dans Le parti pris des choses, Francis Ponge choisit de valoriser des éléments trop prosaïques qui n'ont normalement pas droit de cité en poésie ou dépoussière des éléments par ailleurs trop poétisés pour les renvoyer à leur tour au prosaïsme. La forme du poème en prose va permettre de manière privilégiée cette poétisation du prosaïque, et inversement.
Dans ce texte, le poète s'attache à rejoindre l'essence même du papillon, trop idéalisé jusqu'alors en poésie.
Mais comment fait-il de ce texte le manifeste même de tout son art ? Comment parvient-il à faire du papillon la métaphore même de la poésie nouvelle, désaffublée de son vieux manteau et volant au plus près des choses ? (...)
[...] Les ailes sont dites symétriques et soulignent un corps amaigri atrophié : tout est fait pour dévaloriser un ensemble décrit comme froid et inesthétique. La construction du texte elle-même s'ouvre et se ferme sur la chenille : les origines du papillon lui collent à la peau. Il n'est en outre maître d'aucun de ses mouvements : erratique il est maltraité par le vent La chute du troisième paragraphe au hasard de sa course, ou tout comme marque un blanc avant de finir la phrase : le poète fait tout pour que les blancs envahissent la page, ce qui marque l'insignifiance du papillon. [...]
[...] La forme du poème en prose va permettre de manière privilégiée cette poétisation du prosaïque, et inversement. Dans ce texte, le poète s'attache à rejoindre l'essence même du papillon, trop idéalisé jusqu'alors en poésie. Mais comment fait-il de ce texte le manifeste même de tout son art ? Comment parvient-il à faire du papillon la métaphore même de la poésie nouvelle, désaffublée de son vieux manteau et volant au plus près des choses ? I Désaffubler la poésie A Rejet des poncifs poétiques et du symbolisme traditionnel En premier lieu, Ponge rejette l'univers lyrique toujours lié au papillon. [...]
[...] Les deux l du papillon renvoient à la symétrie des deux ailes ou deux l du papillon. On retrouve ce jeu dans chenille guenille d'ailleurs qui rappellent le son du mot, ou tout simplement dans les consonnes géminées effort terre prennent comme erratique allumette flamme Ce principe est celui du cratylisme, qui donne sens au mot mais aussi à la forme même du mot. En cela, le poème du papillon, peut-être plus encore que tout autre, contient le manifeste en creux de l'art de Francis Ponge : prendre le parti des choses en dépoétisant le prosaïque et en créant une nouvelle mise en valeur de l'objet par la réalité même des mots. [...]
[...] Les termes se retrouvent systématiquement dévalorisés : prennent leur vol est cassé par l'expression par terre ; minuscule voilier des ailes est dévalorisé par pétale superfétatoire ; flambèrent qui pourrait renvoyer à des jeux de couleurs, est mis à mal par une allumette très peu poétique. Notons que le poète n'emploie pas le nom poétique très attendue de chrysalide qui vient du grec khrusos signifiant or. De même, un jeu sur les allusions culturelles se met subtilement en place. Vol et flambèrent constituent une allusion au Phoenix qui, lorsqu'il meurt, s'enflamme et renaît de ses cendres en un éternel recommencement. Ici, le papillon est un anti-phœnix : il s'enflamme, brûle ses ailes et ne peut plus voler. Ridicule, il devient allumette objet des plus insignifiants. [...]
[...] D'ailleurs le titre même Le Parti pris des choses, suivi du nom du poème Le Papillon peut laisser envisager un article scientifique. Tout un lexique scientifique jalonne dès lors le texte : ailes symétriques (géométrie), contagieux (médical), élaboré (physiologique : s'emploie pour la sève élaborée c'est-à-dire produit d'une modification), superfétatoire (s'emploie physiologiquement pour parler d'un fœtus en trop qui ne survivra pas). Le terme erratique quant à lui, connote trois fois : médicalement, puisque l'on parle de fièvre erratique (poussée de fièvre), géologiquement, car les blocs erratiques sont des fragments de roche transportés loin de leur formation d'origine, et enfin chimiquement dans la mesure où l'acide erratique est celui qui constitue la matière colorante du coquelicot. [...]
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