Le 24 juin 1936, le poète surréaliste Paul Eluard déclare à Londres dans une conférence que : « Peu leur importent les sarcasmes et les rires, [les poètes] y sont habitués, mais ils ont maintenant l'assurance de parler pour tous. ». Il semblerait ici, que le surréaliste considère que les poètes s'adressent à tous ou bien qu'ils parlent au nom de tous. Si l'on considère la première hypothèse, Eluard insinue que cette modernité poétique implique une ouverture de la poésie vers l'ensemble de l'humanité. Nous pouvons ainsi nous demander quelles sont les limites de l'universalité de la poésie. Nous nous intéresserons en premier lieu aux limites de l'affirmation de Paul Eluard, puis nous étudierons au contraire le caractère universel de la poésie. Enfin nous essayerons de comprendre les différents nivaux de perception d'un poème (...)
[...] Quelques auteurs pousseront ce principe d'élitisme à son paroxysme en composant des œuvres que l'on appelle poèmes hermétiques Le sens de cette poésie est volontairement obscur. Il s'agit tout à la fois de détourner l'attention portée au sens vers la forme, et d'exprimer des intuitions profondes qui ne se laissent aplatir par des formules limpides. Dans la littérature française, Mallarmé cultive cette esthétique. Ainsi dans son recueil intitulé Poésies, il évoque lui même sa poétique dans le dernier distique de Hommage : Le sens trop précis rature Ta vague littérature. [...]
[...] Aussi pouvons-nous considérer que le poète ne s'adresse pas à chacun mais à tous. Nous avons vu que l'intelligibilité de la poésie était majoritairement due à l'exigence de l'auteur ; qu'elle soit volontairement simple, voire vulgaire, diffusée musicalement, ou porteuse de principes universels ou qu'au contraire elle exige un haut niveau d'érudition, c'est souvent l'artiste qui compose l'auditoire qu'il souhaite. Les différentes perceptions d'un même poème peuvent être dues à l'instruction, aux différentes cultures mais également à la sensibilité du lecteur. [...]
[...] Certains ne peuvent saisir les références intertextuelles par exemple. C'est ainsi que dans Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage on peut penser à un premier niveau de lecture que Joachin Du Bellay évoque simplement sa nostalgie de la France ; après une étude plus approfondie et avec peut être plus de recul, on peut penser que le je du poème n'est pas celui de l'auteur, mais que ce dernier se livrerait à un jeu de masque Il exprimerait alors non pas sa nostalgie, mais son désir que les capacités littéraires du français soient reconnu à une époque ou le latin est institutionnalisée par l'Église et l'Université. [...]
[...] Il arrive que des poètes se prêtent à ce jeu et que leurs écrits soient publiés de manière posthume. C'est notamment le cas de George Sand et d'Alfred De Musset qui entretenaient une correspondance sous forme de poèmes dans les années 1830 mais qui ne fut publiée que bien plus tard. On peut se demander quelle part d'intimité le lecteur doit laisser aux auteurs et aux destinataires de ce type de poèmes. D'autres poètes désirent (par mondanité ou élitisme ne s'adresser qu'à une faible part de la population, la plus érudite. [...]
[...] Ainsi lorsque Louis Aragon, s'adresse à Elsa, à travers elle, il s'adresse en réalité à tous. Elle incarne alors la muse, la femme et alimente le poème. De même quelques années après, en 1954, Boris Vian en réaction contre la guerre d'Indochine, compose le déserteur, dans lequel au premier vers (liminaire il apostrophe Monsieur le président En dépit de ce procédé, le poète, en fustigeant la guerre, s'adresse surtout aux jeunes hommes susceptibles d'être conscrits et plus largement à l'humanité. [...]
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