L'oxymore fameux "flamme si noire" que l'on trouve dans Phèdre de Racine pour qualifier la passion incestueuse de l'héroïne n'est pas sans rappeler les oxymores frappants de l'esthétique baroque. Par sa passion monstrueuse, le personnage instaure au sein de l'univers classique un dérèglement. C'est peut-être l'occasion d'étudier les rapports que les deux esthétiques du XVIIème siècle entretiennent l'une avec l'autre, l'une contre l'autre. Phèdre est-elle un personnage baroque ? Comment la tragédie classique intègre-t-elle un tel personnage ? (...)
[...] On se gardera donc bien d'opposer le baroque au classique. Les thèmes de la vanité de l'existence et la méditation sur la mort sont d'ailleurs communs aux deux courants (Pascal et Bossuet n'ont pas inventé ces objets de réflexion, qu'on trouve déjà chez Sponde par exemple). Sur un plan autre que thématique, on observera surtout une différence de degré entre imagination et raison dans le processus de création : le primat est assurément accordé à l'imagination dans les premiers temps du baroque (cf. [...]
[...] On n'oubliera pas non plus que Thésée lui-même, autrefois incarnation de l'héroïsme (le vrai tueur de monstres des vers 79 à est devenu dans la pièce l'incarnation de l'inconstance amoureuse : il n'est plus qu'un séducteur accumulant les conquêtes, ce que disent les vers 84 à 90, dont Théramène s'amuse presque, mais qu'Hippolyte voit avec alarme. Le fils s'est en effet construit sur la vénération du père héroïque et non d'un père volage. La passion amoureuse est décrite dans la pièce comme ce qui dégrade (le héros Thésée) et ce qui cherche à vaincre la constance (ainsi Aricie et Phèdre sont-elles attirées par ce qu'il y a d'inflexible chez Hippolyte, comme si elles y voyaient une valeur sûre en amour, contre le modèle proposé par Thésée). [...]
[...] Loin de fuir, Phèdre y descend, quitte à devenir le monstre : dans la seconde tirade, il n'est plus question du Minotaure, mais du monstre qu'elle est elle-même : Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t'échapper (v. 703) - le monstre marin : mentionné quatre fois dans le récit de Théramène, et qualifié de furieux et de sauvage il est ce monstre qu'Hippolyte voulait dès le début affronter pour se qualifier à l'égal de son père Qu'aucuns monstres par moi domptés jusqu'aujourd'hui (v. que Phèdre lui a pourtant désigné clairement (à savoir elle-même), lorsque dans son récit elle s'est mise sur le même plan que le Minotaure pour conduire Hippolyte à envier le statut de héros. [...]
[...] Plus loin l'héroïne formulera une première fois ce qu'elle est devenue sous le coup de la passion, au vers 701 : Délivre l'univers d'un monstre qui t'irrite Phèdre devient une figure monstrueuse : elle échappe à la raison qui devrait lui interdire d'éprouver l'adultère et l'inceste ; elle a fait entrer le monstre dans un monde qui n'était déjà pas assez équilibré pour y résister. Or le monstre, c'est ce qu'il faut rejeter hors du monde ou supprimer. Thésée appelle Hippolyte monstre au moment de l'exiler et d'appeler sur lui la colère de Neptune (v.1045). Phèdre est associée ou s'associe au monstre dès son apparition sans employer ce mot, mais il devient ensuite récurrent dans la pièce. La détestation de soi opère un clivage et les images vont s'engouffrer dans la faille. L'oxymore une flamme si noire v. [...]
[...] Mais comme Phèdre aussi, le monstre met en émoi, bouleverse le monde (v.1523-1524) : La terre s'en émeut, l'air en est infecté ; Le flot qui l'apporta recule épouvanté Phèdre, en effet, se voit comme capable de renverser l'ordre du monde, par sa simple existence. C'est en tout cas ce que lui permet de croire sa puissante imagination : - elle réinvente le passé, avec une nouvelle expédition contre le Minotaure : nouveau héros (Hippolyte), nouvelle adjuvante (Phèdre) ; puis l'adjuvante entre même dans le labyrinthe (ce que n'a pas fait Ariane), et finalement s'y voit en première ligne Moi-même devant vous v. [...]
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