Dissertation s'appuyant sur les sonnets de Shakespeare, Le Chansonnier de Pétrarque et la poésie amoureuse baroque. Réflexion sur une phrase de Roland Barthes : "L'amour a certes partie liée avec mon langage (qui l'entretient), mais il ne peut se loger dans mon écriture".
[...] L'illusion du discours amoureux réside donc dans l'entrelacement de l'introspection, du détachement et de la mise sur un piédestal de l'être aimé. Le poète ne s'adresse pas tant à celui-ci qu'à lui-même, dont il sonde les états d'âme et se flatte de l'impact de son écriture. Il écrit donc également pour le lecteur, surtout chez Pétrarque, afin d'acquérir la gloire poétique, le «laurier cela en rognant le discours amoureux jusqu'à la moelle, en le pressant comme une orange parce qu'il constitue un sujet noble par excellence, par conséquent garant du succès poétique et de la postérité. [...]
[...] En se confrontant à la beauté de l'amant(e), le poète voulant le/la flatter se confronte à l'indicible. Dans un registre purement descriptif, il use donc de l'imagerie universelle relative à la mythologie, et dote sa parole poétique d'un pouvoir de suggestion. Ainsi, Pétrarque place sa Canzoniere sous le sceau du mythe de Daphné et Apollon, recueil que l'on peut voir comme une réécriture d'Ovide. Ce mythe permet d'évoquer la cruauté du refus de la femme, sans la fustiger de reproches et de morale. [...]
[...] Le poète compense alors le caractère indicible de son amour en détournant le discours amoureux de sa visée purement descriptive, et en le dotant d'un caractère optatif dans la poésie baroque, ainsi qu'argumentatif. Par le discours, il s'agit de convaincre l'amant de sa propre grandeur rehaussée par le poète, donc de la grandeur du poète. Faute de pouvoir décrire la beauté de l'amant avec exactitude, le discours amoureux se tourne donc vers le poète dans un mouvement introspectif narcissique. Finalement, c'est du talent du poète avant tout que l'écriture fait l'éloge. [...]
[...] Beauté réelle et beauté sublimée sont inséparables. Tel est le propos de Shakespeare dans ses sonnets 85 et 86 : Ma Muse à la langue liée reste silencieuse, Quand votre commentaire assemblé richement Embellit par la plume d'or son écriture, Et les phrases enflées des Muses précieusement. Ainsi, le discours amoureux n'a de sens qu'au regard de la beauté de l'amant. Il n'existe pas en soi mais fonctionne comme une partie inhérente de la référence, de l'être objet du désir. [...]
[...] Ainsi, Roland Barthes écrit : L'amour a certes partie liée avec mon langage (qui l'entretient), mais il ne peut se loger dans mon écriture. On décèle en effet dans ces sonnets un paradoxe entre les sentiments du poète et un discours amoureux dans lequel ils font défaut. S'il est le principe rattachant le poète et son amant, le langage est lacunaire et est en réalité plus propice à l'introspection qu'à une forme d'injonction. Le langage se voit avant tout ici comme une litanie amoureuse se distillant à travers l'amour. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture