Dans la présentation qu'il propose de W ou le souvenir d'enfance, Perec qualifie le texte autobiographique qui occupe la moitié de l'oeuvre de « récit fragmentaire [...] fait de bribes éparses, d'absences, d'oublis, de doutes, d'hypothèses, d'anecdotes maigres », laissant ainsi apparaître l'aspect parcellaire de ses souvenirs.
De fait, ce récit fragmentaire, qui alterne avec l'histoire imaginaire de la cité W, semble donner naissance à une mémoire stratifiée où chaque évocation de souvenir apporte avec elle une nouvelle temporalité, et vient bouleverser, en quelque sorte, une réalité envisagée comme étant stable en lui donnant plusieurs formes (...)
[...] Lié de manière intrinsèque à la mémoire, le souvenir se fait alors travail, mouvement, fragment. Relevons d'ailleurs l'ensemble des termes qui marquent cette indécision : à peu près peut-être j'ai même longtemps cru Lorsque Perec écrit : Cela ne change rien au fantasme, mais permet d'en tracer une des origines. on peut parler, sans doute, de références psychanalytiques, de lien avec l'inconscient freudien. Choses vécues, éprouvées, construction, projection et visions fantasmatiques sont alors enchevêtrées les unes dans les autres, fixant ainsi la limité de l'expérimentation autobiographique. [...]
[...] L'aspect très elliptique du passage, ses hésitations, soulignent, eux aussi, la limite de cette démarche. Se raconter, se raconter vraiment, est alors une entreprise scindée par deux principes à la fois antithétiques et complémentaires. Le désir de dire est révélé par la présence des notes, des retours en arrière, de l'absence de correction directe sur le texte et des précisions, réfutations, à sa suite, de la part de Perec. Mais ces fluctuations sont aussi le signe de la perfectibilité de l'écriture autobiographique. [...]
[...] Le récit semble alors ne pas pouvoir être récit à part entière. La présence des notes et corrections de l'auteur pousse à envisager cette idée, l'idée d'un récit en mutation, vivant. Mémoire non fixée à jamais par l'écrit, mais signe d'une recherche active, de tentatives. Notre texte peut alors éclairer la pensée de Perec, qui, dans, Espèce d'espaces, définissait en ces termes l'acte d'écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose : arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une marque, ou quelques signes. [...]
[...] A mon arrivé à Grenoble, il me semble que j'ai été opéré j'ai même longtemps cru, chipant ce détail à je ne sais plus quel autre membre de ma famille adoptive, que c'était le professeur Mondor qui avait pratiqué l'opération à la fois d'une hernie et d'une appendicite (on aurait profité de la hernie pour m'enlever l'appendicite). Il est sûr que ce ne fut pas dès mon arrivée à Grenoble. Selon Esther, ce fut plus tard, d'une appendicite. Selon Ela, ce fut d'une hernie, mais bien avant, à Paris, alors que j'avais encore mes parents Un triple trait parcourt ce souvenir : parachute, bras en écharpe, bandage herniaire : cela tient de la suspension, du soutien, presque de la prothèse. Pour être, besoin d'étai. [...]
[...] Dès lors, on peut s'interroger sur la notion d'expérimentation autobiographique dans ce passage. Ainsi, en analysant les caractéristiques d'une autobiographie que l'on peut qualifier de critique de par son désir de se raconter vraiment, ainsi que la perfectibilité de ce même écrit prisonnier des méandres de la mémoire et de la psyché, nous ferons émerger l'enjeu principal du texte ici questionné, c'est-à-dire l'écriture en tant qu'acte mémoriel. L'ensemble du passage semble mettre en exergue une sorte de typologie des choses qui s'étend du douteux au sûr. [...]
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