Face à cette adresse directe au lecteur du roman, il faut mesurer la possibilité du consensus autour de l'image du lecteur que nous propose Balzac, cette question soulève deux problématiques : quel est l'enjeu de la différence de statut entre le lecteur réel et le lecteur fictif dans le roman ? Quels sont les véritables buts de la lecture de romans ?
Si l'identification totale est impossible entre le lecteur et l'image qui en est donnée au sein de la fiction, le consensus autour de ce lecteur en quête d'amusement se fait au sein de la fiction elle-même (lorsque le romancier cherche à impliquer le mieux possible son lecteur dans l'histoire, ou au contraire, à critiquer sa lecture divertissante). Finalement, nous mesurerons les véritables enjeux de la lecture du roman, qui ne peuvent aboutir que par un divertissement au sens latin du terme : par un détour (...)
[...] Le consensus semble impossible entre le lecteur imaginé et le lecteur lui-même, qui ne lit peut-être pas Le Père Goriot pour s'amuser. En effet, pour que le dialogue soit vivant et animé, l'auteur peut décrire les réactions du narrataire, comme le fait Stendhal dans son roman inachevé, Lucien Leuwen : Les amants sont si heureux dans les scènes qu'ils ont ensemble, que le lecteur, au lieu de sympathiser avec la peinture de ce bonheur, en devient jaloux Mais comme répond Christine Montalbetti, je ne ressemble par forcément au lecteur que le roman met en scène, je ne suis pas forcément jalouse des amants heureux. [...]
[...] Car enfin, il faut se demander avec Camus dans L'Homme révolté, par quelle nécessité la plupart des hommes prennent justement du plaisir et de l'intérêt à des histoires feintes. Il est difficile de mesurer les véritables enjeux de la lecture, car ils semblent éminemment subjectifs, répondant de ce fait à la subjectivité de l'auteur, c'est ce que montre Maupassant dans sa Préface à Pierre et Jean : Le lecteur, qui cherche uniquement dans un livre à satisfaire la tendance naturelle de son esprit, demande à l'écrivain de répondre à son goût prédominant, et il qualifie invariablement de remarquable ou de bien écrit l'ouvrage ou le passage qui plaît à son imagination idéaliste, gaie, grivoise, triste, rêveuse ou positive. [...]
[...] Mais en fin de compte, chacune des demandes que le lecteur peut formuler correspond à un désir d'évasion, qu'il nous est impossible de réduire à la volonté d'échapper à une réalité trop écrasante, car non seulement les gens heureux se plaisent à la lecture de romans, mais une souffrance extrême ôte le goût de la lecture. Le refus du réel qui se joue dans le roman n'est donc pas une simple fuite, ni volonté hégélienne de se forger un monde où la morale règne seule. Saisir enfin la vie comme destin, voilà leur vraie nostalgie écrit Camus à propos des romans. Il explique, en effet, le goût de la lecture de roman, par le désir de saisir la vie comme entièreté, comme unité, comme destin, en fin de compte. [...]
[...] En somme, la subjectivité de la lecture annihile un consensus entre lecteur réel et narrataire. D'autant plus que le dialogue est faussé par la relation d'autorité qui se noue entre le narrateur et le narrataire : le détour par la fiction ne change pas le fait que c'est l'auteur qui construit le dialogue, il ne fait que feindre de laisser la parole au lecteur, Diderot, dans Jacques le Fataliste, le fait remarquer bien assez souvent : Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et qu'il ne tiendrait qu'à moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois ans, le récit des amours de Jacques, en le séparant de son maître et en leur faisant courir à chacun tous les hasard qu'il me plairait. [...]
[...] Mais Casimir ne connaît pas les envies de changer et les matins de guérison. Il va jusqu'au bout, comme Heathcliff, qui souhaitera dépasser encore la mort pour parvenir jusqu'à l'enfer. Proust, d'autre part et selon Camus, a choisi d'exposer la vie intérieure dans ce qu'elle a de plus interieur, à savoir le machinal, le caractère subjectif de l'association des sensations, du souvenir et de l'instant présent. Il réunit [ . ] dans une unité supérieure, le souvenir perdu et la sensation présente, le pied qui se tord et les jours heureux d'autrefois Proust théorise ce jeu des réminiscences, lié à de simples objets (comme la Madeleine) et non à des réflexions construites dans la Préface au Contre Sainte-Beuve : Chaque jour j'attache moins de prix à l'intelligence. [...]
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