72/ 199. « Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa
haute et pleine majesté, qu'il éloigne sa vue des objets bas qui
l'environnent. Qu'il regarde cette éclatante lumière mise comme une
lampe éternelle pour éclairer l'univers, que la terre lui paraisse
comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit, et qu'I
s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très
délicate à l'égard de celui que ces astres, qui roulent dans le
firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que
l'Imagination passe outre, elle se lassera plutôt de concevoir que la
nature de fournir. Tout le monde visible n'est qu'un trait
imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle Idée n'en
approche, nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des
espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes au prix de la
réalité des choses. C'est une sphère infinie dont le centre est partout
et la circonférence nulle part. Enfin c'est le plus grand caractère
sensible de la toute puissance de Dieu que notre imagination se
perde dans cette pensée.
Que l'homme, revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui
est, qu'il se regarde comme égaré et que de ce petit cachot où Il se
trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les
royaumes, les villes, les maisons et soi-même à son juste prix.
Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini?
Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il
recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates, qu'un
ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties
incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des
veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs
dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces
gouttes, que divisant encore ces dernières choses, Il épuise ses
forces en ces conceptions et que le dernier objet où il peut arriver
soit maintenant celui de notre discours. Il pensera peut-être que
c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir làdedans
un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement
l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature
dans l'enceinte de ce raccourci d'atome, qu'il y voie une Infinité
d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en
la même proportion que le monde visible, dans cette terre des
animaux et enfin des cirons, dans lesquels Il retrouvera ce que les
premiers ont donné... »
[...] Il poursuit en commentant cette constatation par des métaphores ironiques (égaré dans un canton . logé dans un petit cachot), expressions qui insistent sur les limites de l'homme dans l'espace et dans les capacités de raisonner : activité humaine égarée dans l'espace, raison qui ne va pas très loin. Il a sorti les deux images d'une remarque piquante et paradoxale (j'entends l'Univers : l'homme se croit au centre de l'Univers) propre à désespérer un libertin, persuadé de pouvoir dominer la nature par la raison. [...]
[...] Étude du schéma argumentatif du passage Pascal qui s'est assigné comme objectif de montrer à l'homme les limites de sa raison, construit son explication en trois points : 1. L'observation de la voûte céleste En bon pédagogue il s'appuie tout d'abord sur ce que l'homme peut observer par lui-même de plus impressionnant. Le spectacle de la voûte céleste dont il est obligé de convenir qu'il le dépasse L'imagination Puis il envisage les données que pouvait fournir l'imagination au sens scientifique, quand elle dépasse les apparences sensibles pour montrer au libertin confiant dans sa raison, les limites de la pensée conceptuelle. [...]
[...] Pascal alors s'appuie essentiellement sur des antithèses qui en démontrent la faiblesse. Alors ce que nous observons n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature (l'imagination se lassera de concevoir mais pas la nature de fournir . l'Homme enfle ses conceptions mais n'enfante que des atomes). L'analyse s'achève par l'énoncé d'un paradoxe déroutant pour un esprit scientifique (sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part) Comment l'argument des merveilles de la création comme preuve de l'existence de Dieu serait-il réfutable pour un homme incapable de comprendre par la pensée l'organisation de l'Univers (puisqu'il s'y perd . [...]
[...] L'évidence de cette constatation est soulignée par la présence des phrases injonctives (Que que que) prouvant que l'homme peut aisément s'en convaincre par lui-même. La majesté du spectacle est mise en évidence par un rythme ternaire (qu'il regarde ) qui donne une impression de vertige dans la mesure où il épouse les étapes de la gradation qui amène l'homme aux confins de l'inconcevable. L'étude de l'imagination Mais Pascal poursuivant sa démonstration nous invite à dépasser cette 1ère étape pour explorer les ressources de l'imagination, de la pensée spéculative pour dépasser les limites de l'observation pure (que l'imagination passe outre). [...]
[...] Mais si notre vue s'arrête là, que l'Imagination passe outre, elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. Tout le monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle Idée n'en approche, nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. C'est une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Enfin c'est le plus grand caractère sensible de la toute puissance de Dieu que notre imagination se perde dans cette pensée. [...]
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