"Par le langage, l'homme s'est fait le plus solitaire des êtres du monde, puisqu'il s'est exclu du silence" écrit J.-M. Le Clézio, dans L'Inconnu sur la terre. Considérant cette citation, survient une première difficulté : comment l'oeuvre, qui justement est le langage, peut-elle être solitaire ? Au-delà d'un défaut, cette solitude semble davantage être une condition même de l'écriture et l'objet d'un consensus avec son auteur et son lecteur (...)
[...] La solitude de l'œuvre ne prend véritablement son sens qu'à partir du moment où nous l'entendons comme autonomie. La relation presque intime qui s'établit immédiatement entre l'auteur, l'œuvre et le lecteur l'œuvre servant d'intermédiaire entre les pensées des deux autres protagonistes est en effet indéniable. Le texte devient un tissu (du latin textus), une trame où s'entrelacent des mots, des réseaux de sons et de sens qu'un lecteur devra défaire et recomposer brin à brin. C'est l'intérêt de la littérature qui est visé, la communion de deux pensées ainsi que l'épanouissement de l'être humain à travers l'écriture ou la lecture, par cet accord et cette aide mutuelle entre œuvre, auteur et lecteur. [...]
[...] Par sa lecture tout d'abord, il lui porte un intérêt, qui conditionne le succès de l'œuvre. C'est parce qu'une œuvre est beaucoup lue qu'elle perdure dans l'esprit de chacun, qu'elle s'étudie en classe de littérature, qu'elle est transmise de génération en génération, qu'elle devient un phénomène collectif qui fédère les gens. A l'inverse, un roman qui ne trouve pas d'éditeur et n'est pas publié, existe sans exister. La reconnaissance du lecteur est ainsi indispensable. Le lecteur joue également un rôle dans la survie de l'œuvre. [...]
[...] De même, le risque de la solitude de l'œuvre est sciemment couru par l'écrivain. Celui-ci sait qu'il se peut que son travail reste incompris, voire qu'il nuise à la communication qu'il entretient avec son lecteur (ce peut être le cas quand un auteur soumet à la critique de son public plusieurs ouvrages formant un tout). Un autre risque serait que son œuvre ne rencontre pas son public et tombe dans l'oubli ou ne sorte jamais de l'ombre. Quoiqu'il advienne, l'auteur endosse un rôle ingrat car il se doit de rester le garant de son œuvre, pour son intégrité personnelle et celle de son travail. [...]
[...] Une forme d'impersonnalité se crée alors : l'écrivain n'est plus lui- même dans l'écriture mais le lecteur n'est pas non plus lui-même dans sa lecture, vu qu'il entre dans cette affirmation de la solitude de l'œuvre c'est-à-dire qu'il s'y conforme. La solitude de l'œuvre est acceptée et comprise par le lecteur, comme si se signait un pacte de lecture inconscient. Le lecteur sait qu'il ne peut jamais totalement entrer dans l'œuvre dans le sens où il ne peut exercer aucune action ou modification sur elle. [...]
[...] L'œuvre est solitaire. Elle n'existe que pour elle-même, elle s'accomplit et s'exalte en dehors du temps et de l'espace. Une œuvre fantastique telle que Le Seigneur des Anneaux de Tolkien n'appartient en effet à aucune réalité, est tout à fait intemporelle. L'écriture s'apparente alors à un travail de la négation (négation du temps, de l'espace. La solitude de l'œuvre ne se traduit pas par une forme d'incompréhension avec le lecteur, mais se définit plutôt par son autonomie, comme si l'œuvre pouvait se gérer par elle-même, sortie de toute contrainte matérielle et nullement rattachée à son auteur ou son lecteur, comme si l'œuvre se personnifiait. [...]
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